Chronique

Émile Parisien Quartet

Let Them Cook

Émile Parisien (ss, effets), Julien Touéry (p), Ivan Gélugne (b), Julien Loutelier (dms, elec).

Label / Distribution : ACT

On n’a pas tous les jours 20 ans ! On pardonnera d’autant plus au label ACT d’avoir dégainé pour l’occasion l’une des vilaines pochettes dont il a le secret, que le contenu de ce sixième disque publié par le quartet d’Émile Parisien est de haute volée, comme d’ailleurs ses prédécesseurs. Alors filons la métaphore gastronomique et disons d’emblée que Let Them Cook est un grand cru, à l’instar des cinq incartades passées d’une formation décidément toujours prête à se remettre en question : Au revoir porc-épic (2006), Original pimpant (2009), Chien guêpe (2012), Spezial Snack (2018) et Double Screening (2018).

Le saxophoniste – identifiable dans l’instant par un son unique et un jeu qui laisse toujours deviner la fièvre d’une gestuelle sui generis – est entouré des trois partenaires déjà à la manœuvre sur Double Screening : Julien Touéry au piano, Ivan Gélugne à la contrebasse et Julien Loutelier à la batterie (ce dernier ayant pris le poste occupé jusque là par Sylvain Darrifourcq). Dès la première écoute on comprend que ces quatre « têtes chercheuses » vont nous emmener au cœur d’un véritable laboratoire du jazz. Celui-ci n’est pas sans faire penser à la dernière période d’un autre explorateur saxophoniste, Wayne Shorter, avec les recherches qu’il avait entreprises en quartet. Ici, on sait que rien ne semble acquis, que la curiosité guide chaque note et que les rebondissements du scénario – mitonné aux petits oignons, ceux-ci étant au besoin garnis de pralin, de noix de coco, de fromage ou accompagnés de vin, ainsi que le suggèrent les titres – seront multiples. Le chef Émile Parisien et ses camarades relèvent en outre la saveur des mets au moyen de quelques aromates électroniques (discrets, il faut le souligner) et parviennent à composer un menu qui leur est propre dans la grande histoire du jazz.

« On cherche la réponse en permanence ! Aucun intérêt de refaire ce que John Coltrane et Wayne Shorter ont fait avec leur groupe pour, en plus, le faire en beaucoup moins bien ». Voilà qui est dit. Pour mieux fêter ces deux décennies passées, le quartet revendique plus que jamais sa différence. Pendant que certains ont les yeux rivés au sol et cherchent un étourdissement dans un idiome aux accents « dance floor », ces quatre-là prennent le risque de nous dérouter en explorant, parfois à grande vitesse, des chemins de traverse au tracé imprévisible, pour mieux nous montrer du doigt la voie d’un jazz qui n’en finit pas de se régénérer. C’est une magnifique leçon. Joyeux anniversaire !