La Campagnie des Musiques à Ouïr
retour sur un concert magnifique dont on n’a pas assez parlé et sur une rencontre improbable dont on a trop parlé.
Dimanche 14 janvier 2001 La Campagnie des Musiques à Ouïr invite Yvette Horner/ Jacques Berrocal (Chevilly).
Un dimanche de janvier, frais, ensoleillé. Pas vraiment le temps pour aller s’enfermer dans une salle de concert et aller découvrir l ‘étrange rencontre entre la musique joyeuse, libre, de la Campagnie des Musiques à Ouïr et la reine de l’accordéon Yvette Horner. On en oublierait presque Jacques Berrocal, étrange poète, chanteur, trompettiste notamment du groupe culte Catalogue. La veille, aux actualités régionales de France 3, des images de la dernière répétition….un sentiment : ça promet !
Cette rencontre, on en a beaucoup parlé, on s’est demandé si c’était une blague dans les milieux jazzeux. Et puis bizarrement, le public qui s’est déplacé en masse est surtout un public âgé venu avant tout pour Yvette Horner.
Une personne d’un « certain âge » me confie : « Vous savez, Yvette Horner, c’est une immense musicienne ! ». Je veux bien la croire, mais moi Yvette je la connais uniquement par ses apparitions en play-back chez Jacques Martin.
Pour la première partie, Fantazio chanteur à la voix assez fantastique, qui s’accompagne à la contrebasse. Plutôt bien, mais le procédé est répétitif. Il demande pour son dernier morceau à Berrocal de venir le rejoindre. Celui ci se fait attendre, puis apparaît, courbé, vêtu d’un costume noir scintillant. On croit voir surgir le fantôme de Miles Davis !
Entracte. Des bruits commencent à se faire entendre, des cris, des rires…et la Campagnie déboule dans la salle par la porte d’entrée à grand coup de klaxon, de sifflets et rejoint la scène. « Bonsoir Paris » ! Oui, vraiment, ça promet.
Les premiers morceaux s’enchaînent, un blues écorché, une chanson qui est juste une répétition (dixit Berrocal). La musique est brillante, enlevée, populaire au meilleur sens du terme, audacieuse, parfois aux frontières d’un certain free. La Campagnie s’est éloignée quelque peu de son projet initial, ces veilles chansons sorties du patrimoine français, mais les morceaux qu’ils nous proposent fonctionnent à merveille.
Au bout d’une vingtaine de minutes, Yvette Horner fait enfin son entrée sur la pointe des pieds. Le premier morceau est alors lancé. C’est drôle, émouvant, des passages musette s’entraînent à de fulgurantes énergies. Trois minutes de bonheur absolu, intense, le public applaudit à tout rompre, hurle, tambourine des pieds. Yvette Horner s’assoit, émue, les larmes aux yeux.
Après une chanson pour un petit chien écrasé sur le bord de la route (!), un moment rare d’émotion partagée. Imaginez : les gars de la Campagnie ont posé leurs instruments, se sont accroupis et ont fermé leur yeux. Une lumière rouge baigne la scène. C’est à Yvette de jouer. Elle hésite, égrène quelques notes, s’arrête. On s’inquiète dans la salle, mais finalement le morceau débute. Dans son accordéon musette toutes les émotions se succèdent tout d’un coup, la tristesse, la joie, la mélancolie comme ça, sans artifices. Non, décidément, cette bonne femme, n’est pas un gag.
Le reste du concert ? Vous vous en doutez, magique. Unique. Dans ma tête, les souvenirs se bousculent. Le jeu de jambe de Monniot, ses solos déjantés, une partie de basse terriblement funky, jouée à la voix ! Charolles aux baguettes, chauffant Yvette (Allez Yvette !), de la chanson du petit chien chanté, les mains remuant du gravier, ou encore déboulant soudain sur scène trombone en l’air ! Le groove irrésistible de Sciuto, ses attentions pour Yvette Horner (c’est qu’elle n’est plus toute jeune !). Berrocal enfin, trompette et voix magique, mêlant son humour au jeu de scène théâtrale de ces compères.
Plus que toutes ces individualités, un souffle, un moment éblouissant pour oublier où l’on se trouve et qui l’on est. Un moment tout simplement mythique, sans artifices alors que cette rencontre aurait pu se transformer en une enfilade de gags douteux et franchouillards.
Je garde surtout en moi cette émotion si vive qui m’a saisi pendant ce solo d’accordéon pour ne plus me lâcher.
Après deux rappels, Yvette Horner assure que les gens qui l’entourent sont de grands musiciens (!) et invite le public à entonner avec elle « Ce n’est qu’un au revoir ». Nous ne nous reverrons peut-être pas, mais la trace brûlante de ce spectacle est bien là et pour longtemps encore.