Scènes

Les Emouvantes 2020, une répétition générale

Les Emouvantes à Marseille, quelques concerts du 17 au 19 septembre.


Au festival Les Émouvantes à Marseille, la productrice Françoise Bastianelli et le directeur artistique Claude Tchamitchian reconduisent l’édition 2020 en 2021, pour cette année les invités initialement prévus ont été sollicités pour se produire en duos ou en solos.

La musique se fait quand nous l’entendons ; souvent aux Émouvantes elle s’aventure sur des territoires nouveaux, alors comment chacun habite ce lieu inconnu qu’est le théâtre des Bernardines ?
J’ai posé cette question aux musiciens sur place.
La même réponse fait récit : ils habitent le lieu grâce à la résonance, grâce aux pierres, aux colonnes, aux distances, à la forme de l’ancienne chapelle qui restitue le son au public. La carte est géographique, elle prend en compte l’improvisation et permet à chacun, de sa place, de participer au récit musical, de participer à l’expérience plus profonde que la simple écoute, l‘expérience « d’être en compagnie de sa propre imagination solitaire » [1]

Claude Tchamitchian

Comment j’habite le théâtre des Bernardines ? me redemande le contrebassiste Claude Tchamitchian. Ce lieu a une dimension spirituelle, ce n’est pas la première année que nous y venons, quatre ou cinq ans déjà ?
Il y a ici quelque chose qui vibre, comme si le lieu répondait à ce qu’on lui amène. La musique que l’on propose a besoin de proximité avec le public.

Jouant des limites, laissant venir les mots, amoureux des aigus et de l’acidité du fruit, au saxophone Christophe Monniot s’éprend des ouvertures de l’accordéoniste Didier Ithursarry. Pittoresque, tonique, rigoureux, le bal de l’urgence de la musique n’est pas violence, simple puissance du souffle des instruments. Nous sommes nourris de la rue, des bals, de traditions orales, de mer ou de montagne, d’horizon ou de finitude, haut et bas, reliefs et immensités, tout te rend désespérément humain.
Leur duo déplace couleurs et figures, elles perdent appui et sur l’air ni haut ni bas nous entourent. Ils jouent ensemble, impliquent leur limites, ce n’est pas sans cesse mais selon leur hors temps ou leurs hors lieux : Ce qui nous est spécifique comme duo c’est le pardon. Nous continuons à nous pardonner nos imperfections musicales. Une imperfection ?
Pris dans leur finitude et le partage du sens musical ils ont la grâce, c’est avec cette formule que Claude Tchamitchian les présente.

J’entends les sons tels qu’ils viennent jusqu’à moi, je tends l’oreille et les laisse venir, pourrait-on dire qu’ils nous habitent ? Ou que nous les habitons ? Les deux sans doute, car pour écouter Jean-Charles Richard, un premier mouvement est nécessaire. Nous avançons vers sa musique et il nous laisse venir à elle. Le saxophoniste œuvre avec la résonance, ces notes ne sont pas incises, elles bordent son son d’arrondis. Avant de savoir le sens, la texture et le timbre, mon jeu passe par le son, c’est le vecteur de ce que je vais dire.

On collabore avec son instrument, on ne le soumet pas

Le relief de ses sons s’accroît tel un souffleur de verre, il propulse l’air à la matière et lui offre sa courbe transparente. Par son bord, nous abordons une note jusqu’à sa musique. Dans ses bords, aux filaments des rythmes séducteurs, nous dansons. C’est alors sans emphase que nous comprenons la phrase que Jean-Charles Richard partage avec l’un de ses professeurs, Steve Lacy : On collabore avec son instrument, on ne le soumet pas.

Je marche sur le plateau comme je l’ai appris avec le metteur en scène de ma compagnie Sphota, je cherche une dimension rassurante entre les musiciens, entre les musiciens et le public. Je cherche une disposition qui va permettre la projection du son. Comme on entend le lieu, on imagine, avant même d’avoir fait le premier son.
Nous étions en Belgique pour le groupe Caravaggio, au pied levé on nous a demandé de jouer en duo avec Eric Echampard, c’était sept minutes, ce soir c’est 45 minutes… nous avons préparé un scénario !, dit Benjamin de la Fuente.
Au cinéma de la musique, le duo projette une musique envoûtante, machiavélique, reposante. Fusion, frisson, batterie et violon électronique s’électrisent. Là où on avait perdu la phrase, la note, le sens du rythme, le son diffuse sa naissance… Comme à l’écran, nul appropriation, nul vol de sensation, nous vivons ce qui ne nous appartient pas, nous sommes au spectacle du son-mouvant !

Matthew Bourne, Laurent Dehors

Deux singuliers s’arrachent au continu, deux horizons ouvrent les sens, accrochés à leur propre rive, nous regardons au loin les sons qui s’écoulent vers nous, qui creusent les rives et soudent nos attachent. Matthew Bourne est au piano, Laurent Dehors aux clarinettes. Mélodies, découpes et leitmotivs ruissellent, sur la barque de leur présence nous partons, les lignes s’harmonisent et se partagent pour nous laisser aux silences, ainsi nous visitons un monde.
Matthew Bourne joue beaucoup en solo, il a travaillé les musiques de Gérard Finzi, Frank Bridge, Cyril Scott, Kaikhosru Shapurji Sorabji.

J’ai rencontré Laurent Dehors il y a 15 an, dans le groupe belge Trio Grande. La musique était très organisée, très écrite. En duo avec Laurent nous établissons un équilibre : je vais plus vers l’écriture tandis que Laurent va plus vers l’improvisation. Nous avons une grande palette sonore et sans inquiétude un même esprit aventureux. Ce terrain commun nous permet d’aller avec aisance vers les sons, les registres mélodiques et harmoniques… 
J’ai une intimité musicale avec Matthew, dit Laurent Dehors : tout peut se passer, ça doit se passer, nos premières notes décident d’un nouveau chemin… En concert, je suis en état de curiosité, on ne s’interdit rien, on se fait sonner. La multiplicité des timbres crée de nouvelles manières d’architecturer la musique. En jouant pour la première fois avec Matthew, il m’a donné envie, il a une palette sonore, un sens de la forme incroyable, c’est quelqu’un d’habité !

L’esthétique de leur récit musical ?
Ce serait un collage d’artiste, un de ceux dont la fin de la toile montre l’œuvre elle-même. Leur musique est un nous aux sources nourries : musique celtique pour le violoniste Jacky Molard, musique contemporaine pour le saxophone baryton François Corneloup. C’est un nous qui nous amarre aux rivages de la puissance du rythme, un nous qui jamais ne nous laisse.

L’immersion est ailleurs, David Chevallier nous y convoque. Solo !
Nous voilà pris dans l’invention électrique de la quadriphonie. Grâce à sa guitare électrique et son dispositif sonore, le musicien me propulse d’abord au coeur d’un brouillard précis et minutieux. Je m’écarte du visuel pour perdre la recherche des effets du geste, je ferme les yeux et alors je vois dans les sons du son, je vais vers ce qui n’existe que par mes oreilles : une musique.

Si une priorité du festival est un son qui circule, alors l’ingénieur du son Bruno Levée y a trouvé sa place.