Chronique

La Guinguette à PépéE

Apaches

Catherine Delaunay (cl, bcl, acc, voc, objets), Pascal Van den Heuvel (as, ss, bs, uku, voc, objets), Sébastien Gariniaux (g, bj, uku, voc, objets)

Label / Distribution : Les neuf filles de Zeus

On aurait tous aimé guincher sur les planches de la Guinguette à PépéE. C’est le genre de lieu chargé des souvenirs qu’on n’a jamais eus, kitsch assumé, murs colorés et vaisselle en vrac, avec l’inspiration musicale dans le patrimoine populaire. Pas son versant scie racoleuse et sa cohorte de vedettes sur le retour, mais le récital des chansons qu’on connaît tous à son corps défendant, de « Mexico » à « Tea For Two », fournisseurs de vers d’oreille de qualité depuis cinq décennies joliment sonnées. Mais au fait, qui est PépéE ? On ne le sait pas trop, mais on connaît ses musiciens, car ce sont des fidèles des lieux : des poly-instrumentistes foutraques qui de Normandie en Belgique trimbalent des clarinettes et saxophones baryton autant que des accordéons et des ukulélés. Catherine Delaunay a déjà longtemps expérimenté ce répertoire avec le bal de Laurent Dehors. Quant à Pascal Van den Heuvel, ce n’est pas avec Mäâk’s Spirit qu’il a pris l’habitude de jouer le beau musette de « L’infidèle », mais peut-être dans Le Chien déguisé en vache, son duo avec Delaunay.

Des bovidés, il y en a un pré tout entier dans les multiples surprises de la pochette, qui à elle seule vaudrait de s’embarquer dans cet univers que ne renieraient pas Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff. Une poésie artisanale et joliment dérisoire qui renoue avec l’objet-disque : une roulette passe-vues, un bouton magique… La Guinguette a déniché sa place dans un coin fort discret et chante pour ceux qui prendront le temps de l’écouter. Car on n’y trouve pas que le décor et le détachement rêveur. Pas seulement quelques chansons fédératrices volontairement passées au moulin des instruments-jouets et mégaphones. La rencontre en trio avec le guitariste, banjoïste et percussionniste Sébastien Gariniaux est également l’occasion de rendre un hommage appuyé à des figures comme Gus Viseur et aux accointances gouailleuses entre le jazz et la java. Ainsi, de nombreux morceaux swinguent effrontément, à l’instar de « It Don’t Mean A Thing », découpé au baryton par Van den Heuvel, qui retrouve la joie turbulente de la pulsation. Une vraie musique d’Apaches des faubourgs et des villes moyennes jouée avec une énergie qui rappelle le théâtre de rue. Une discipline bien connue de Gariniaux.

Catherine Delaunay reste toujours une fabuleuse raconteuse d’histoires. Il y a dans cette Guinguette à PépéE une folie narrative qui saute du chahut de « Sing Sing Sing », véritable morceau Jungle transposé dans le Bocage, à l’émotion de « Mon Premier Bal ». Au premier abord, on peut paraître loin des lettres de Poilus de Jusqu’au dernier souffle ou des embruns salés comme des larmes de Sois patient car le loup. On pourrait ne voir dans le groove cabossé de « Temptation Rag » que l’occasion de montrer qu’on peut faire bouger les pieds avec un ukulélé et un pianola. Mais, à moins de n’avoir absolument aucune connexion entre les oreilles et le cœur, on s’apercevra bien vite, une fois défait le fil de nylon retenant ce disque unique, objet désirable, que tout un monde se dévoile. Le flacon et l’ivresse.