Chronique

La corde perdue - Marc Ribot

Anaïs Prosaïc a réalisé, au format DVD et produit par La Huit, un film consacré à Marc Ribot, à sa raison d’être artistique, sa foi et à quelques éléments biographiques de ce guitariste appartenant à la scène « downtown » new-yorkaise, souvent génial et étiqueté « anti-rock ».

Ce film présente sans fioritures et suivant un fil conducteur soit chronologique soit thématique, selon les concepts artistiques évoqués, l’artiste Marc Ribot, ce musicien intrigant et hétéroclite qui ne s’inscrit dans aucun courant précis mais dans tous les courants, qui a été l’élève du guitariste classique noir américain Franz Casseus et porte un nom francophone sans en avoir les origines.

Marc Ribot décrit ainsi son projet musical : « J’ai eu l’impression que le monde était devenu une vaste poubelle et que le lyrisme de mon expression finirait sur ce grand tas. D’où l’envie de prendre une autre direction, d’utiliser des citations, des éléments déjà existants ou de faire simplement du bruit. » Avec malice et simplicité, il raconte comment a commencé son aventure musicale et quels sont les gens qui ont compté pour lui. Il accompagne la caméra à la découverte de son passé ; on partage alors son petit monde grâce à des images de New York, d’une plage de Coney Island avec sa fille ou de Newark…

Arrière-petit-fils d’un rabbin établi dans une petite ville proche de Minsk (Biélorussie), Ribot joue avec Jack McDuff à Newark au Key Club en 1979 devant un public de véritables mélomanes : « Le seul public de ma vie qui applaudisse la retenue. » Débarqué à New York avec l’intention de sonner comme Grant Green, il fait partie en 1981 des Red Tones puis joue avec Solomon Burke et Wilson Pickett. En 1985 il intègre les Lounge Lizards avec Arto Lindsay : « Marc a pris délibérément une autre direction, il s’est éloigné de ce qu’il connaissait. Moi, je me suis contenté de jouer ce que je voulais, je n’étais pas en rupture avec quoi que ce soit. » (Arto Lindsay).

Il évoque ensuite son professeur de musique, Franz Casseus, les difficultés de la guitare classique, la nécessité de découper cet art en milliers d’éléments à étudier les uns après les autres. Très inspiré par le Prime Time d’Ornette Coleman et par Albert Ayler, il créé les Rootless Cosmopolitans aux débuts des années 90 : « Certaines musiques n’appartiennent pas à une seule et unique histoire. Il existe un courant du jazz dont Monk, Ayler et Prime Time font partie. Ce courant du jazz peut aussi s’inscrire dans l’histoire du rock ». C’est dans cette opposition entre rock et jazz que navigue Ribot.

Le claviériste Anthony Coleman, qui jouait déjà dans les Rootless Cosmopolitans, expose son analyse personnelle de l’artiste en le comparant à John Zorn (avec qui il collabore souvent), chacun dans sa démarche. Ribot s’inscrit dans la « nouvelle musique juive radicale » de Zorn. « Ça m’a pris du temps de me familiariser avec la véritable improvisation libre. Il en est finalement sorti quelque chose d’amusant. Jouer sans aucun concept a priori est quasiment impossible. On rencontre des préjugés profondément enfouis en nous. On retrouve son histoire intérieure. On commence par le silence mais, dans notre cas, on va aussi vers le bruit. Et le bruit devient une sorte de surface vierge où on finit par entendre ses propres projections : une forme en émerge qui vient d’une espèce de subconscient, ou d’un inconscient collectif. Ce qui en ressort est une forme archaïque et laide faite de bribes de musique juive flottant à la surface. Je continuerai jusqu’à en tirer quelque chose. »

Plutôt réussi, respectant l’artiste et sa conception de son art, ce documentaire met en relief les propos tenus par des extraits de concert (à la Knitting Factory en 1990, à Banlieues Bleues (Paris), au Stadtgarten de Cologne, au Tonic (NY) et à Pau (2002). Ils donnent un côté attachant au personnage et plus de valeur encore à son œuvre.