La collection Ladies présente dix albums de quarante chansons immortelles, illustrées par un dessinateur sensible au charme des musiques et orchestres d’un autre temps.
Ce numéro est consacré aux Ladies in Blue, ces chanteuses (34 sur 40 titres) qui ont célébré le blues et le jazz de 1934 à 1954. Vous serez surpris de découvrir qu’il y en eut autant, car beaucoup sont oubliées aujourd’hui. Belle façon de les extraire du purgatoire du blues et du jazz vocal !
Cette livraison emblématique de la série BDMusic honore par la musique et l’image, le jazz, la voix, le rythme, la vie, les femmes. C’est un recueil de miniatures, de petites pépites de jazz vocal que Bruno Théol est allé sélectionner amoureusement pour illustrer une époque révolue, avec ce parfum de nostalgie si fort, parfois, qu’il en est douloureux. Les illustrations ont été confiées à un maître du trait, le grand Louis Joos que nous avions admiré dans les numéros consacrés à John Coltrane et Charles Mingus. Ses splendides à-plats noirs sont ici remplacés par des esquisses pointillistes en pleine page, le noir et blanc étant alors « obligés d’habiter le même décor ». D’une simplicité qui tend vers l’épure, le dessin illustre l’ambiance moite du « film noir », les scènes d’anthologie : des femmes seules hantent le club de jazz, cachant leur fêlure derrière un rideau de fumée ou un verre avalé « straight ». Le blues enveloppe leur regard, elles le respirent. Et nous avec, écrit Alex Dutilh dans la préface.
La sélection permet de redécouvrir des orchestres oubliés, négligés, selon un choix particulièrement judicieux : les amateurs les plus éclairés y trouveront matière à relecture de toute une époque, surtout après la Deuxième Guerre mondiale, que l’on considère un peu vite comme la fin des grands orchestres.
L’un des plaisirs raffinés (au second degré) que procure cette collection, est de se demander quel sera le titre choisi pour représenter tel musicien, telle chanteuse ou formation, soit l’éternel bonheur des « variations sur un même thème ». Dans la catégorie des voix « blanches » qui, dans les années 50, font écho au glamour hollywoodien, on écoutera celle, détimbrée, sans vibrato de Chris Connor (« Lullaby of Birdland »), que l’on peut ranger aux côtés de Peggy Lee (« Black Coffee », « Elmer’s Tune »), d’Anita O’Day (« Tea for Two ») ou de June Christy (« Something Cool », « Lover Man », « How Long Has This Been Going On ? »). Leur monde n’avait rien de franchement gai et par-delà le luxe apparent transparaît un ennui distingué, un détachement « blasé ». Sans vouloir jouer les Anciens contre les Modernes - ce qui n’est pas vraiment notre habitude - on aime retrouver cette touche si particulière de raffinement lucide, le courage des chanteuses au moment d’affronter la scène - le « naturel » n’existant pas en ce domaine.
Comme elles font partie intégrante de notre paysage musical, on les en oublierait presque, mais on entend une Ella Fitzgerald (« I’m Confessin’ ») au timbre solaire tandis que Billie Holiday nous offre ce qu’elle a de plus précieux, le manque et l’émotion, dans un « More Than You Know » accompagné par Teddy Wilson : elle phrase toujours acrobatiquement, avec dans le grain de la voix la fragilité tendue d’un Lester Young. Et Sarah Vaughan, la divine, illumine la version d’un « Lover Man » de 1945 avec Dizzie Gillespie & His All Star Quintet.
Hormis les « historiques », le mérite de ce numéro de BD Jazz réside dans la mise en lumière de la catégorie de chanteuses que l’on pourrait appeler les « oubliées » : Mildred Bailey, Ivie Anderson, Maxine Sullivan, Rosemary Clooney, (la tante de George), Rose Murphy, Helen Humes, la chanteuse de l’orchestre de Count Basie. On découvrira enfin ces « inconnues » que sont Margie Day, Julia Lee, Ida James et Jean Elridge, qui savaient souvent sublimer une mélodie, bijoux baroques dans l’écrin de l’orchestre.
Vous l’aurez compris, ce numéro est hautement recommandé !