Scènes

Lady Blackbird et son acide soul noire

La chanteuse était en concert à Paris.


Surnommée la « Grace Jones du Jazz » par Gilles Peterson, Lady Blackbird était au Duc des Lombards à l’occasion de la tournée de son premier album Black Acid Soul.
Enregistré dans le légendaire studio du Sunset Sound, le disque mélange reprises et compositions. Il fait s’épouser et fusionner jazz, gospel, rock, rhythm’n’blues, soul, pop et tant d’autres formes musicales américaines. De ce mariage naît un son, ou plutôt un phénomène sonore qu’elle et son producteur Chris Seefried nomment la Black Acid Soul.

Lady Blackbird © Christine Solomon

Lady Blackbird, de son vrai nom Marley Munroe, est une artiste de la liminalité. Véritable caméléon doté d’un instrument au son si singulier, cette vocaliste américaine se fait connaître de la sphère jazzistique en mai 2020 avec un premier single « BlackBird » (titre composé par Nina Simone en 1966, qui évoque la condition afro-américaine aux États-Unis). La reprise est dévoilée quelques jours avant la mort de George Floyd et s’inscrit dans un environnement social et politique tendu, compliqué, témoignant ainsi de la sensibilité, de l’éveil et de l’ancrage de cette musicienne dans le monde dans lequel elle évolue. C’est avec ce morceau qu’elle débute son concert dans la coquette obscurité du Duc. Une première scène française - un rêve d’enfant réalisé, m’a-t-elle confié.

Costume en latex et bas résille, une chevelure blanche couronnée d’un cygne noir, Lady Blackbird monte sur scène telle une diva. Sa prestance impose l’écoute du public qui ne parvient pas à détourner son regard d’elle. Elle débute avec cette reprise poignante interprétée avec inquiétude, douceur et force. Puis c’est une reprise plus légère dans laquelle se fait davantage entendre l’aspect écailleux de sa voix. Son empreinte vocale est infusée de sa personnalité.

S’il fallait utiliser la comparaison, alors imaginez un mélange entre Amy Winehouse, Tina Turner, Nina Simone, Gladys Knight, Aretha Franklin, Etta James, Chaka Khan ou encore Billie Holiday. Des artistes qui, pour reprendre ses mots, l’ont inspirée et ont nourri son âme.
Sa voix râpeuse, écorchée, d’une grave légèreté, est enveloppée par les talentueux musiciens qui l’accompagnent avec délicatesse et sobriété. Intelligemment construite, la solidité de la performance réside dans leur écoute mutuelle. Ils se laissent l’espace de dialoguer et monologuer, le temps d’improvisations qui éveillent la curiosité de l’oreille et créent une délicieuse imprévisibilité musicale. Choses que l’on ne retrouve pas vraiment au sein de l’album, bien plus composé, figé.

Entre soul gothique et funk jazzé, les morceaux sont aussi entraînants les uns que les autres, créant une atmosphère presque grivoise. Mais c’est l’interprétation de « Five Feet Tall » qui m’a clouée. Mes oreilles s’en souviennent encore… Une voix captivante, d’une force et d’une sensibilité subjugantes. Ce morceau dont elle est la compositrice a des allures de classique et en deviendra sûrement un. C’est sous les applaudissements et les cris du public qu’elle quitte la scène le sourire aux lèvres après un « encore » presque prémédité. Lady Blackbird incarne un nouveau son, une nouvelle voix dont il est impossible d’oublier les couleurs. Une artiste qui marque les esprits et dont on entendra encore parler pendant les prochaines années.