Chronique

Chien Chien Lu

The Path

Chien Chien Lu, vib - Allan Mednard, dr - Shedrick Mitchell, kb - Quintin Zoto, g - Ismel Wignall, perc - Yoojin Park, vl - Phoebe Tsai, b - Lisa Lee, voc - Richie Goods, b

Label / Distribution : Autoproduction

Chien Chien Lu. Vibraphoniste d’origine taïwanaise.

Ces seules informations ont suffi à me convaincre d’écouter l’album d’une musicienne au profil et parcours atypique dans la sphère jazz actuelle. Enfant, elle commence par le piano mais se prend très vite de passion pour les percussions. Elle continuera ses études musicales jusqu’à l’obtention d’un diplôme de musique classique décroché à l’Université nationale des arts de Taipei. Pendant ses années universitaires elle réalise qu’elle souhaite faire autre chose que simplement interpréter, exécuter des œuvres et se tourne vers le jazz. Une fois diplômée, elle part étudier aux États-Unis auprès du vibraphoniste Tiny Miceli.

C’est en tant que vibraphoniste du Jeremy Pelt Quintet qu’elle se fait d’abord remarquer par la presse et le grand public. Lors de la tournée de ce quintette, le bassiste Richie Goods lui propose de devenir son producteur et de faire un premier album. Pour composer The Path, elle se retrouve pour la première fois leader de son propre ensemble, composé d’Allan Mednard (batteur du quintette de Pelt), Shedrick Mitchell (claviériste), Quintin Zoto (guitariste), Ismel Wignall (percussionniste), Yoojin Park (violoniste), Phoebe Tsai (contrebassiste), Lisa Lee (vocaliste) mais également de Richie Goods à la basse et du trompettiste Jeremy Pelt, qui jouera principalement sur « Invitation ». Un morceau aux influences latines et au tempo saccadé.

Chien Chien Lu semble vouloir illustrer son parcours avec cet album qui s’ouvre et se ferme à Brooklyn. Commençant ainsi dans une ambiance digne d’un polar par une reprise moderne d’un classique jazz-fusion de Roy Ayers, « We Live in Brooklyn Baby », il se termine par un cover old-school du morceau-titre du film de Spike Lee, « Mo’ Better Blues » (originairement interprété par Marsalis et Blanchard). La construction de l’album est intéressante car les différents univers jazzistiques qu’explore la vibraphoniste sont introduits par des interludes musicaux dans lesquels on peut entendre Lu se confier, notamment sur la difficulté d’être une femme d’origine asiatique dans le milieu du jazz. Ces interludes semblent également introduire le morceau-titre : « The Path », avant-dernier du disque, où l’on parvient à déceler les prémices d’un style singulier.

Constitué de cinq covers et sept compositions, il s’agit d’un premier album très personnel. La neuvième piste, « Tears and Love », est dédié à sa grand-mère ; dans « The Imaginary Enemy » - morceau le plus long et le mieux construit où l’improvisation, le free jazz, prévalent - elle évoque la difficulté de vivre, d’évoluer dans la société avec les carapaces que l’on se crée et qui parfois se mettent en travers de notre chemin. Elle fait également un clin d’œil à ses origines taïwanaises dans « Blossom in a Stormy Night » qui débute avec une voix féminine chantant en mandarin. Un très belle composition qui, je pense, est mon coup de cœur , contrairement à la reprise décevante du « Blue in Green » de Miles Davis. Ce morceau qui à l’origine est d’une intensité folle, perd de sa saveur pour devenir une simple ballade néo-soul.

Un premier album plutôt réussi, assez doux, dans lequel le vibraphone a une place centrale (en particulier dans « Blind Faith »). Une jeune musicienne très prometteuse qu’il me tarde de découvre sur scène.

par Mélodine Lascombes // Publié le 13 décembre 2020
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