Tribune

Les trucs favoris de Sarah Murcia

My Favourite Song est une série produite par Arte qui propose plusieurs versions d’une même chanson. Sarah Murcia en a imaginé 11 versions différentes.


Sarah Murcia © Christophe Charpenel

On connaît les talents d’arrangeuse de la contrebassiste dont le précédent projet Never Mind The Future a marqué les esprits. On la connaît musicienne curieuse et sans frontière, avec des projets venant de et partant dans toutes les directions - géographiques, culturelles, stylistiques. Elle est aussi une moitié de Beau Catcheur (avec Fred Poulet) à l’humour anglais, à froid, reine d’un absurde musical assumé. Pour Arte, elle a concocté des pastilles dont certaines sont magiques.

La série comporte dix pastilles, plus une collégiale. Sarah Murcia a demandé à une grande majorité de musicien.ne.s issu.e.s du jazz de participer, mais aussi à des artistes plus pop, plus inclassables.

L’équipe musicale (qui ne chante pas) est composée de Sylvain Cathala (sax), François Thuillier (tuba), Sylvaine Hélary (flûtes), Benoît Delbecq (claviers), Gilles Coronado (guitare), Sarah Murcia (Contrebasse) et Frank Vaillant (batterie). Les voix sont celles d’Élise Caron, Jeanne Added, Fred Poulet, Mélissa Laveaux, GiedRé, Brad Scott, Nicolas Jules, Rosemary Standley et Mami Chan. Louis Sclavis est le seul à jouer le thème en solo instrumental.

Ces petites pastilles animées ont été diffusées sur Arte en 2018 et restent encore un peu disponibles en ligne.

Pour autant, Sarah Murcia n’en est pas à son coup d’essai car sa collaboration, comme directrice artistique, avec le réalisateur Paul Ouazan a déjà donné lieu à plusieurs séries de ce type.

La contrebassiste est actuellement membre du quartet de Louis Sclavis qui se produisait aux Rendez-Vous de l’Erdre. Nous avons d’abord évoqué la grâce de la version portée par Jeanne Added et soutenue par le tuba virevoltant de François Thuillier. Tombés d’accord que l’exercice télévisuel prend son sens pour ce genre d’expérience, nous décidons d’engager cette conversation.

- Qui a eu l’idée de cette collection autour d’une seule chanson ?

C’est Paul Ouazan, le réalisateur de l’émission, qui aime énormément ce morceau et les défis radicaux, qui a eu l’idée d’en faire douze versions. J’ai collaboré maintes fois en tant qu’arrangeuse avec lui et l’atelier de recherche d’Arte France par le passé (Juke-box Memories, Roots 67, Roots 70, Nightin’eighties, Crooners). Il y a une grande émulation entre nous. Nous avons trouvé une façon très fluide de travailler ensemble et nous aimons nous retrouver autour de ce genre d’histoire.

- Vous avez choisi et inventé tous les formats ou les musicien.ne.s ont fait leur choix parmi une liste ?

Oui, j’ai tout imaginé avant que l’on commence à travailler. Dans un projet tel que celui-ci, je pense que c’est la seule façon d’avoir une vraie vision d’ensemble. Douze versions, c’est beaucoup, il ne faut pas se répéter, faire quelque chose de très équilibré.

- Quelle est la part d’écriture/d’improvisation ?

Il n’y a quasiment pas d’improvisation, sauf pour les solos au sein des morceaux, évidemment.

- Votre session en solo chanté est très nerveuse et véloce : c’est pour en finir avec ce thème mielleux et ressassé 12 fois ?

Je ne trouve pas que le thème soit mielleux, tout est une question d’interprétation ! Le choix de cette version, c’est encore dans un souci d’équilibre ; de trouver quelque chose d’encore très différent.
J’aime beaucoup ce thème à cause de la version de Coltrane bien sûr. Mais je dois dire que je préfère nettement le A au B… La version originale, de « La Mélodie du bonheur », ça n’est pas vraiment ma tasse de thé. En revanche, j’adore la version d’Alice Coltrane.

- Qu’apporte selon vous le cadrage et le montage vidéo sur ce type de session ? Combien de prises pour chaque reprise ?

Paul a une façon toute particulière de filmer, à la fois avec de la distance mais aussi beaucoup d’intimité (le système est souvent apparent). Nous avons fait entre deux et trois prises pour chaque morceau.

- Dans un entretien à paraître dans la revue Epistrophy sur le jazz et la philosophie, Rodolphe Burger dit de vous : « Sarah Murcia, cette contrebassiste qui joue dans mon trio, tout en étant une incroyable musicienne de jazz : elle a monté un projet magnifique sur les Sex Pistols, un projet qui parvient à être simultanément savant et punk. Pour moi, c’est la quadrature du cercle. » Est-ce que cette définition vous convient, convient à votre approche musicale, d’une manière générale ?

Magnifique ! Ça me convient.
Mais blague à part, c’est vrai que je m’attache souvent à la coexistence de registres différents. Pour moi la complexité et la simplicité ne sont pas des valeurs mais des outils.

Et pourtant dans un excellent magazine (Citizen Jazz, février 2016) vous dites : « Le punk n’existe plus, non ? C’est une musique contextuelle, une musique politique. Alors je suppose que la musique, c’est en quelque sorte de la politique. » Est-ce que ces reprises de « My Favorite Things » sont politiques ?

Je ne crois pas, non. C’est un divertissement. Mais même si c’est en un, il s’agit quand même de faire exister la chanson d’une façon différente de celle qu’on nous assène à longueur de journée, donc dans un sens, c’est politique.

- On trouve dans plusieurs de ces pastilles cette attitude de tout prendre avec hauteur et détachement. Vous pratiquez ce genre d’humour à froid ?

L’attitude que j’ai dans le duo « Beau Catcheur », avec Fred Poulet, fait vraiment partie de notre « spectacle » ; l’idée, c’est que je ne dois jamais rire, même quand c’est vraiment con.