Scènes

Lettre de Bruxelles

l’actualité du jazz en Belgique.


Ca bouge outre-Quiévrain. C’est ce que nous contera régulièrement, Mawanji Ezana, notre correspondant à Bruxelles.

« I love jazz but it’s too fucking expensive, man ! » une formule
qui ne s’applique pas à Bruxelles. Pour cette première lettre, je
ferai un petit tour de la scène jazz bruxelloise pour poches peu profondes (comme si j’avais le choix !).

Trois moments forts de mes soirées fin octobre s’imposent. Deux sont orchestrées par Han Bennink. Le batteur néerlandais visitera par deux fois Bruxelles en cinq jours. La première fois en duo avec le jeune pianiste Cor Fuhler à l’Université Libre de Bruxelles (francophone, les flamands vont à la VUB : ici, tout
se dédouble). Bennink est en pleine forme, et son partenaire plein d’idées (le seul capable de remplacer Misha Mengelberg au sein de l’Instant Composers Pool, déclare Bennink durant un morceau). Bennink met en scène, relance, amuse. Inspiré par les carrés au sol, il crée même une petite installation visuelle à partir des fragments d’un vase (qu’il a lui-même cassé) et deux baguettes. Il n’oublie toutefois pas de prendre balais et caisse claire et swinguer.

Quelques jours plus tard, c’est au Café Central, en plein coeur de Bruxelles, que Bennink se produit, au sein du groupe Soft Nose, mené par le trompettiste néerlandais Eric Boeren (et sa formidable collection de sourdines). L’américain Michael Moore aux anches (« One of the best fucking players in the world » dixit Bennink) et Jilbert de Woode au violoncelle complètent le groupe. Là, deux sets qui virent du dixieland au free, en passant par les fanfares et quelques standards, au quart de tour. On en retiendra l’énergie, le chaos, l’esprit trash, mais aussi de magnifiques solos du frontline (ensemble ou seuls, lyriques ou déchaînés), malgré les conditions.
En effet, il n’y a pas de podium, donc Boeren se fait bousculer dans un sens par ceux qui vont chercher une bière et dans l’autre par ceux qui vont aux toilettes. Ce soir, c’est du free jazz dans tous les sens du terme !

Entre ces deux concerts, toujours au Café Central, mais cette fois-ci sur un petit podium, Steve Lacy donna un récital en solo. Moment de grande émotion et d’écoute intense, avec beaucoup de têtes baissées, d’yeux fermés, d’oreilles parties à l’exploration de l’univers Lacy. Un premier set au feeling blues et swing sensuels et raffinés. Au deuxième set, changement d’atmosphère, légèrement plus abstraite, mais les mots me manquent pour la décrire. D’ailleurs, vous pourrez en juger de par vous-même car ce concert paraîtra en disque dans quelques mois.

Deux mentions rapides en guise de conclusion. Le tromboniste français Geoffroy de Masure s’est produit avec sa Tribu, version quartette (Bo van der Werf, saxophone baryton, Jean-Luc Lehr, basse,
Chander Sardjoe, batterie) d’une musique écrite à l’origine pour
douze musiciens ! Si de Masure a montré, devant un public très clairsemé, l’étendue de son immense talent, une batterie suramplifiée (faute à l’ingénieur du son, pas au batteur) et le jeu de Lehr, qui ne
m’a guère plu, ont empêché à ce concert de devenir tout ce qu’il aurait pu être. Et enfin, notons la présence sur tout le territoire belge de l’Audi Jazz Festival, avec son lot de stars nationales et
internationales.

A tantôt (comme on dit ici).