Chronique

Leyla McCalla

Breaking the Thermometer

Leyla McCalla (voc, cello, banjo, g) ; Shawn Myers (d, perc) ; Pete Olynciw (b) ; Jeff Pierre (tanbou) ; Nahum Johnson Zdybel (g) ; Mélissa Laveaux (voc)

Label / Distribution : Anti-Records

Avec ce nouvel album consacré à l’histoire d’Haïti, Leyla McCalla s’inscrit dans la lignée de plus en plus dense des musiques politiques liées à l’histoire et la culture de la diaspora noire issue de l’esclavage. On pense aux récents projets d’Irreversible Entanglements, de Matana Roberts, de Heroes Are Gang Leaders, etc. Cette nouvelle vague de musiques où le texte prend une place prépondérante.

Ici, les mots sont issus des archives de Radio Haïti et le disque est le prolongement d’un travail théâtral mené par la musicienne à partir de ces archives. Le sujet central est la période de la dictature de Duvalier, les assassinats de civils, opposants et journalistes par les Tonton Makout de triste mémoire. On n’écoute pas ce disque en 2022, sur fond de dictature russe sanguinaire, sans en ressentir la terrible résonance.
Cette histoire, Leyla McCalla la fait sienne. Descendante d’Haïtiens installés aux USA, elle a depuis longtemps renoué avec ses racines culturelles au point de chanter en créole, d’utiliser les rythmes, les instruments de l’île. Et, tout en gardant bien en main la rondeur élastique de son violoncelle et les ressorts métalliques de son banjo orléanais, elle prend une voie plus caribéenne que pour ses albums précédents.
Ce sont aussi une couleur et une histoire familières aux oreilles françaises. Le créole haïtien fait partie des créoles francophones des îles alentour et les extraits de Radio Haïti sont en français. On retrouve aussi les couleurs du melting-pot musical qui infusait déjà dans le projet Music is My Home de Raphaël Imbert.

McCalla a écrit et composé la moitié des quinze titres ; le reste est constitué de chansons traditionnelles ou de textes/musiques écrits par d’autres auteur.trice.s. Loin d’être un brûlot politique, le disque est au contraire un ensemble très riche de différences et de couleurs qui s’enchaînent avec cohérence et s’écoutent avec envie. C’est d’ailleurs une constante dans l’ordre des morceaux : on passe d’une ambiance à l’autre. Par exemple, la petite comptine « Pouki » (en duo avec Mélissa Laveaux) est suivie du plutôt rock « You Don’t Know Me » puis d’un jingle de Radio Haïti. Et toujours cette bande sonore en fond, de bruits de la vie insulaire, vagues, animaux, voix, etc..
La musicienne continue, projet après projet, à tracer une route qui lui est vraiment particulière, en donnant l’impression magnifique d’arriver à une pureté stylistique en fusionnant tous les mélanges possibles.

par Matthieu Jouan // Publié le 29 mai 2022
P.-S. :