Entretien

Linley Marthe

Musicien mauricien, bassiste pianiste, sideman sidérant… qui est-il ?

Son jeu fougueux et dynamique, sa notion maternelle du rythme, son humeur facétieuse font de ce jeune bassiste un sideman très recherché. Mais Linley Marthe ne s’en soucie pas : il joue, se fait plaisir et nous contente.

- Votre arrivée dans le monde médiatique s’est faite avec le POM. Vous avec été « découvert par Jeanneau ». Que s’est-il passé depuis ?

Je suis resté dans le POM. Comme c’est un orchestre modulaire, j’ai joué dans les différents POM. Le petit, le grand, etc… le petit POM, ce sont les trois leaders ensemble, François Jeanneau, Andy Emler et Philippe Macé, plus la ythmique. La rythmique reste la même, alors le bassiste est partout ! Cette expérience est intéressante pour moi, car je n’avais jamais joué en big-band. Sur l’île Maurice, d’où je viens, il n’y a pas ça. J’apprends petit à petit à lire la musique. Je suis autodidacte, je n’ai jamais appris à lire. J’apprends aussi la façon d’arranger, pour grande formation.

- A écouter :

Stéphane Huchard : Tribal Traquenard, Blue Note
Souriba Kouyaté : Kanakassi, ACT
Avec le POM :
Le POM, PeeWee Music.
Estramadure , PeeWee Music

- De même, lorsque vous jouez dans le groupe d’Andy Emler, il y a encore Jeanneau.

Oui, ce sont les mêmes, mais la musique est différente. Là, ce sont les morceaux d’Emler et le batteur change, c’est Simon Goubert. Il y a plus de liberté avec ces groupes. Mon jeu est plus sale, plus personnel. Je peux jouer avec la front-line ou le batteur. Avec le POM, je suis tenu de jouer avec tout le monde, j’écoute surtout le groove. Avec les petits groupes je peux proposer des idées, des couleurs, des changements de rythme. C’est ce que j’appelle « jouer sale ». Avoir l’initiative. Pouvoir altérer les harmonies.

- Goubert a développé un jeu personnel, empreint d’un certain classicisme hérité de Coltrane. Comment se passe votre coopération musicale ?

C’est bien pour moi, Goubert est sauvage, il a un jeu bien sale, énergique et j’aime bien ce jeu. Au départ, les musiciens pensaient que cela ne collerait pas, nous eux ensemble car nos univers sont différents. Mais cela marche très bien en fait. On trouve des choses en commun, on s’emmène à tour de rôle dans nos univers. Si un moment donné, je n’ai pas d’idée de changement rythmique, il prend l’initiative de changer. Parfois je change, sur un morceau en 3 je joue la ligne de basse en 4, et lui reste en 3, ce qui colle aussi. Cela crée simplement une polyrythmie.

- Votre jeu est exubérant, très rythmique, très technique. Vous savez parfaitement faire « le show » mais en restant musical, sans devenir un phénomène. Est-ce cela que les musiciens recherchent en vous prenant ?

Je fais mes solos en fonction de l’ambiance. J’adore m’éclater, c’est sûr. C’est facile de faire le « show », trop facile. J’aime bien que le public soit heureux, qu’il manifeste sa joie. C’est toujours mieux que d’avoir des gens qui s’embêtent en face de toi Je ne joue pas que pour les musiciens, mais aussi pour le public, c’est lui qui écoute, donc je fais plaisir à tout le monde. Je fais des lignes de basses très sages, des walking. Je m’adapte aux groupes. Je ne m’endors pas. Dès que j’ai l’occasion de faire mes trucs, j’en profite, je construis mes solos avec mon langage du moment. Si je sens qu’il faut relancer la musique, que c’est le moment de repartir, alors je mets de l’énergie dans mon solo. Je ne veux surtout pas m’ennuyer. Ni sur scène, ni avec un groupe. Il y a des batteurs avec lesquels je ne peux pas communiquer. Ils n’écoutent pas assez la basse : on est censés jouer ensemble !

- Comment choisissez-vous votre basse dans les morceaux ?

En fonction des couleurs. La fretless me permet de jouer autrement. J’ai fait de la contrebasse aussi. Je peux avoir, avec la basse fretless, un mélange de basse électrique et de contrebasse et je peux y mettre des effets.

- Quels sont les contrebassistes qui vous servent de référence ?

Ceux avec qui j’ai travaillé, j’écoutais Level 42, du jazz-rock, Uzeb. J’ai appris sur le tas. Puis, Jeanneau et Michel Benita étaient en tournée en Afrique. Ils arrivent à l’Ile Maurice et Benita se retrouve sans basse. J’étais un peu le seul bassiste à avoir une fretless à Maurice, donc je lui ai prêté ma basse. Ensuite, Jeanneau m’a proposé de faire le bœuf, il me connaissait par ouïe dire,
puisqu’il vivait à la Réunion. Ensuite, deux ans plus tard, je suis arrivé en métropole et je les ai contactés. Ils m’ont pris tout de suite. Je vis à Paris maintenant.

- Vous écrivez des morceaux. Vous les faites jouer ?

Oui, j’apporte quelques pièces dans le groupe d’Andy Emler, surtout pour voir comment ça sonne. Je ne me sens pas prêt pour monter mon groupe et présenter mes compositions. Je cherche mon identité musicale. Ici c’est l’idéal pour ça.

- Vous apparaissez surtout avec le POM, les groupes d’Andy Emler, de François Jeanneau, l’African Project de Philippe Sellam et Gilles Renne, vous faites des remplacements dans le Maghreb and friends de Nguyen Lê et Karim Ziad. Quoi d’autre encore ?

J’ai un duo avec Francis Lassus, on joue souvent en Italie. Je joue de la basse, du clavier, je chante, c’est de l’improvisation. Ça part dans tous les sens, chaque concert est différent, plein de nuance. On va enregistrer quelque chose, c’est vraiment un échange qui me plaît. Je joue aussi en
trio avec Nguyen Lê ou Louis Winsberg et Karim Ziad. Je fais partie du trio Bzzz Pük de Geoffroy de Masure, avec Stéphane Galland. Et je commence à préparer des morceaux sur maquette.

- Comment se traduit votre héritage culturel dans votre jeu ? Vous jouez avec African Project et Maghreb and Friends, deux groupes qui mélangent jazz et musiques d’Afrique, vous sentez-vous « à la maison » ?
Oui, je joue aussi de la musique africaine. Les rythmiques de l’île Maurice sont à peu près identiques, moins variées, puisque c’est une île, mais il y a des similitudes. Cela dit, les cultures de l’île Maurice sont tellement métissées, que la musique est riche. Il y un héritage indien très présent. Je me sers de cet héritage africain, notamment avec African Project, ou avec Trilok Gurtu, avec qui j’ai joué. D’ailleurs, Gurtu était étonné que je connaisse ces rythmiques indiennes ! Il y a plein de styles différents dans lesquels je me retrouve en fait. Je me suis battu pendant un temps pour montrer que je pouvais faire beaucoup de choses différentes, pour ne pas me laisser
enfermer dans la case « bassiste ceci » ou « bassiste cela ». Maintenant, les musiciens savent que je peux jouer dans des contextes musicaux vraiment différents.