Tribune

André Francis (1925-2019)

Monsieur JAZZ est décédé dans son sommeil, le mardi 12 février 2019 à Paris.


Vendredi 8 février, j’animais une table ronde sur le jazz et la littérature, spécifiquement la Beat Generation, avec les musiciens du Collectif Koa et l’universitaire Yannick Seité. Et avec ce dernier, en coulisse, nous avons parlé d’André Francis.
Rien d’étonnant, quand on y pense, puisque celui qui était appelé « Monsieur Jazz » a balisé la route des amateurs de jazz français de 1947 à hier matin.

Sa fille Frédérique nous a envoyé ce bref communiqué mardi matin :

André FRANCIS, né à Paris, le 16 juin 1925.
Homme de radio et de télévision à l’ORTF puis à Radio France pendant plus de 50 ans, directeur artistique de nombreux festivals de jazz dont celui de Paris, membre fondateur de l’Académie du Jazz, président fondateur de l’Orchestre National de Jazz, commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres, André FRANCIS « Monsieur JAZZ » est décédé dans son sommeil, le mardi 12 février 2019 à Paris.

Lui dont la vie s’est faite « par hasard » comme il dit, n’est pas un dilettante. Par hasard, il est rentré à la radio, mais sa passion pour le jazz a été sa force de travail. Son apprentissage du dessin, pendant la guerre, devait le conduire à la réalisation de décors de cinéma, mais c’est finalement avec sa voix qu’il créera le décor des prestations scéniques de près de quinze mille concerts en cinquante ans.

Avec une telle longévité, André Francis a croisé la route d’un nombre incalculable de personnes, musicien.ne.s de jazz en premier lieu, qu’il savait défendre haut et fort (et parfois mettre plus bas que terre en une ou deux phrases assassines). André Francis vient d’une époque où le jazz régnait en maître, remplissait les salles, s’écoutait à la radio, se montrait à la télévision. Une époque traversée par des courants politiques et sociologiques qui pouvaient donner à n’importe quel concert les allures d’une guerre civile, où l’on s’empoignait le col vigoureusement pour défendre ou bannir un saxophoniste en plein chorus. André Francis a très vite imposé un style énergique dans ses propositions musicales, que ce soit en présentant des concerts (des milliers) ou en faisant découvrir des disques à la radio. Qu’il aime ou pas, il enfonçait le clou, à la masse. Pas d’eau tiède chez lui, pas d’échine courbée et un peu plus de mauvaise foi que la moyenne, et ses discours sur la musique se transformaient en plaidoiries.

En tant qu’homme d’action, il a aussi rencontré et travaillé avec la plupart des personnalités du monde du jazz, journalistes, producteur.rice.s, éditeur.rice.s, etc. Car il a effectivement été à l’origine de plusieurs structures importantes pour la diffusion et la création du jazz en France (Bureau de jazz de Radio France – aujourd’hui supprimé, Concours de jazz de la Défense, Orchestre National de Jazz, Académie du Jazz, divers festivals…) la liste est longue. J’ai eu l’occasion de travailler avec lui sur la création de la Maison du Jazz, le festival de la Fête des Jazz à Paris et Orléans Jazz et de siéger dans les mêmes commissions de l’Académie du Jazz.

Enfin, c’est à la fin de sa vie, après sa retraite à la fin des années 90, qu’il reprend activement son activité de prédilection qui était la photographie, la peinture, les collages, les arts plastiques.
Il a organisé l’une de ses dernières expositions à Nantes, à l’invitation du Pannonica, en mars 2017. Il était venu présenter ses montages et des photographies. Il y avait là ses filles et ses petits enfants, c’était un moment émouvant. Plus tard, en octobre 2017, il a participé au dossier sur Thelonious Monk avec quelques anecdotes et des photos inédites du pianiste.

André Francis aura tenté toute sa vie de faire connaître le jazz, par tous les moyens. Il a produit des concerts, inventé des festivals. Il a parlé sur les ondes, à la télévision, écrit dans des magazines, publié des livres, exposé des photos… Il aura même écrit dans Citizen Jazz. Et je continuerai à parler de lui, forcément.

par Matthieu Jouan // Publié le 13 février 2019
P.-S. :

En 2009, il revient sur une partie de sa vie dans cet entretien vidéo réalisé par Jean-Louis Derenne.