Chronique

Éric Legnini

Six Strings Under

Éric Legnini (p), Rocky Gresset (g), Hugo Lippi (g), Thomas Bramerie (b).

Label / Distribution : Anteprima

S’il est un musicien que les dernières années ont consacré comme l’un des plus actifs sur la scène européenne, c’est bien Éric Legnini. Outre des collaborations multiples – notamment aux côtés de Stefano Di Battista il y a 20 ans, et des frères Belmondo dont il vient d’intégrer le quintet, sans oublier une participation à La Note Bleue, le dernier disque inachevé de Claude Nougaro en 2003 – le pianiste belge a su endosser le rôle d’un producteur très avisé, à travers lequel s’est exprimé son désir de brassage musical et toute l’importance qu’il accorde au chant ainsi qu’à l’Afrique.

Legnini, musicien habité par la pulsation et ce style qu’on nomme afrobeat. Celui dont on dit qu’il pourrait jouer de mémoire des centaines de standards est aussi un amoureux de la guitare, ce qu’on sait peut-être moins, même si des guitaristes ont déjà croisé son chemin à l’instar de son compatriote Philip Catherine. Un amour qu’il tient sans doute de son père qui vouait une grande admiration à Django Reinhardt.

C’est donc cet instrument qu’il met aujourd’hui à l’honneur, et en deux exemplaires s’il vous plaît, avec Six Strings Under – les amoureux des séries américaines y verront, c’est certain, un clin d’œil à Six Feet Under. Pour mener à bien cette célébration des cordes, Legnini s’est assuré le concours du fidèle Thomas Bramerie à la contrebasse et a fait appel aux talents conjugués des guitaristes Hugo Lippi et Rocky Gresset. Deux esthétiques bien distinctes et complémentaires : Lippi, dont Éric Legnini côtoie depuis longtemps le jeu fluide et héritier de la grande tradition du jazz, est tout comme lui un fou des standards qu’il connaît sur le bout des doigts. Quant à Rocky Gresset, il vient d’un autre monde, c’est un musicien de l’instant et de l’instinct dont Legnini dit : « Il joue tout d’oreille, c’est presque mon opposé car moi, ma culture est classique ». Mariage sinon des contraires, du moins des oppositions.

On pourrait qualifier ce nouveau disque d’invitation ensoleillée, tant il est gorgé de groove et de swing avec ici ou là des réminiscences de bossa nova ou d’afrobeat. Six Strings Under est un album classique tant par la forme que par l’intention. Il fourmille de mélodies accrocheuses, le plus souvent interprétées sur des tempos moyens. Voilà une balade très agréable dont la forme finalement très épurée contraste avec les derniers albums du pianiste, The Vox, Swing Twice et Waxx Up, aux productions luxuriantes. On est là dans l’intimité d’un jazz qui chante par la seule force des instruments acoustiques et du lyrisme spontané des quatre musiciens.

Toutes les compositions sont signées par Éric Legnini, à l’exception d’une version enlevée de « Stompin’ At The Savoy » et d’une étonnante reprise de David Bowie, presque recueillie. Le pianiste ose en effet s’attaquer à « Space Oddity », tiré d’un album homonyme paru en 1969. Ici, un demi-siècle plus tard, seule la mélodie est préservée, mais au plus près. Pas de guitare pour cet hommage, juste quelques suggestions de la contrebasse pour soutenir un piano qui n’a besoin de personne. Le défi est relevé avec humilité, sans effets de manches. C’est une manière, aussi, de traduire l’état d’esprit qui anime tout le disque : un amour de la musique qui chante.