Chronique

Lydia Domancich / Jean-Mathias Petri

So Watt

Lydia Domancich (p, Rhodes, effets), Jean-Mathias Petri (fl, effets, Kaoss Pad).

Label / Distribution : Empreinte

Ils se sont rencontrés en 2001 à Brest, lors de la création D’ouest en Ouest par le groupe Sula Bassana, dans le cadre d’un projet qui cherchait à relier la Bretagne qui leur est si chère à l’Afrique, là où vibrent peut-être plus qu’ailleurs le rythme et la danse.

Le chemin de Lydia Domancich est ponctué de nombreux voyages sur la planète musique : cette pianiste évolue à la fois dans le jazz, les musiques du monde ou la danse, et peut tout aussi bien participer à des concerts-spectacles fruits de rencontres avec des peintres, des écrivains ou des metteurs en scène. Elle a à son actif une dizaine d’albums, dont le premier, Au-delà des limites (1990) correspond à sa rencontre avec le percussionniste Pierre Marcault ; celui-ci lui permettra de faire vivre un besoin existentiel de rythme exacerbé par ses séjours en Afrique. On l’entendra aussi au sein d’Offering, formation imaginée par Christian Vander au début des années 80 pour célébrer son inspirateur John Coltrane et la force des racines africaines du saxophoniste.

Le Breton Jean-Mathias Petri est lui-même un explorateur : toutes ses flûtes sont au service d’une curiosité qui peut le conduire à investir l’univers de la musique contemporaine comme le jazz, le rap ou la danse. Petri, dont les collaborations sont multiples (Laurent Dehors, Pierrick Pédron, Hélène Labarrière, Gildas Boclé, Franck Tortiller ou Pierre Marcault) est également un adepte du Soundpainting et partage sa passion en enseignant le jazz à Saint-Brieuc depuis près de 15 ans.

On ne pouvait attendre que le meilleur d’une association, naturelle quand on y songe, qui prend aujourd’hui la forme de ce magnétique So Watt (Empreinte / Gimini 22) enregistré en deux jours, sans re-recording ni répétitions. Le duo a choisi de se placer en situation de concert (l’album est d’ailleurs sous-titré « Live » en studio) pour donner d’abord naissance à plusieurs heures de musique, matière première de l’album. Chaque séance ayant abouti à une improvisation d’une heure non stop qui laisse émerger çà et là des compositions de l’un ou de l’autre, la phase finale a consisté à opérer une sélection et à réorganiser l’ensemble. Résultat, un disque dont il faut souligner l’effet de séduction : les images océaniques qu’il suggère, son parti pris de minimalisme, sa pulsion constante et les mystères qu’il raconte à deux voix souvent transformées sont l’atout charme de So Watt et de sa création spontanée.

Au-delà du double jeu de mots, qui pourrait aussi se comprendre comme un clin d’œil à l’histoire du jazz elle-même, la musique se situe dans un ailleurs aux atours électroniques, dont les climats mêlent approche bruitiste et élans mélodiques. Le tout sous le signe d’une tension heureuse installée par ces deux designers sonores entre les instruments - parfois rendus méconnaissables par les effets - source de leur imagination fertile. Parfois la flûte - les flûtes, devrait-on dire, car Jean-Mathias Petri en utilise de nombreuses, de la flûte piccolo à l’octobasse (« Différentiel », en solo) - se fait souffle ou grognements (« Bass Tensions »), engage un dialogue nerveux avec le piano pour s’apaiser ensuite dans un final mélodique de toute beauté (les magnifiques « Chants magnétiques ») ou simplement chanter une ballade contemplative et céleste sur fond de Fender Rhodes (« Maléorie », petit joyau niché au cœur de l’album).

Mais Domancich et Petri n’ont pas cédé pour autant à la facilité de la débauche d’effets : ceux-ci n’ont d’autre but que de servir une mise en scène souvent picturale ou, du moins, suggestive. La longue suite finale « So Watt I » est à cet égard d’une grande richesse : elle commence par évoquer une brume marine laissant percer des chant d’oiseaux dans le ciel (des goélands ?) avant que l’orage ne gronde. Les claviers lancent alors un appel lancinant auquel la flûte répondra par une mélodie aérienne, suivie d’une longue vague menaçante et du babil de voix étranges, animales peut-être. Puis le Rhodes au son saturé installe une ambiance plus sauvage et la pulsion se fait pesante, avant le retour au calme et un nouvel envol de flûte-oiseau. Les derniers accords du piano, majestueux, rappellent le passage de Lydia Domancich aux côtés de Christian Vander par leur ambiance Zeuhl apaisée.

So Watt est un disque au sein duquel il fait bon se perdre : pas vraiment jazz, gourmand d’électronique, parfois proche de ce qu’on appelait autrefois les musiques « planantes », il ouvre de nouvelles pistes sur le territoire d’une musique sans barrières stylistiques, mais placée sous le signe du chant. Magnétique, répétons-le !