Scènes

Magnetic Benzine et Soo-Bin au Triton


La chanteuse et percussionniste coréenne Soo-Bin Park donne à Benzine, la formation bien connue de Franck Vaillant, un magnétisme fascinant comme l’Orient.

Dans le cadre du festival « Les Enchanteuses », au Triton (Les Lilas)

Ceux qui ne sont pas nés de la dernière pluie acide se souviennent peut-être d’une marque de soda dont le slogan avait fait florès dans les Seventies : « Un goût étrange venu d’ailleurs ». Loin de nous l’idée de comparer la percussionniste et chanteuse coréenne Soo-BinPark à un soda, ni à quoi que ce soit d’autre d’ailleurs, car il n’est pas dit que l’exercice du portrait chinois soit goûté en Corée… Mais ce slogan va comme un gant à cet oiseau rare que Franck Vaillant a déniché lors d’un festival de musiques du monde en Nouvelle-Zélande, et qu’il nous donnait à voir et à entendre sur la scène du Triton dans le cadre du festival « Les Enchanteuses ».

En guise de soda, c’est plutôt un cocktail explosif qui nous a été servi devant un public bien fourni en musiciens et en Coréens. Les amateurs d’exotisme qui auraient pris la ligne 11 pour faire le plein de zen sont repartis laminés par les puissantes vocalises de la Coréenne et par le groove du batteur.

Franck Vaillant © H. Collon

Mais qu’on ne s’y méprenne pas : ce n’est pas le blitz déchaîné par un commando franco-coréen auquel nous avons été soumis : Guillaume Orti, Jean-Luc Lehr et Jozef Dumoulin veillaient au grain, et plus d’un solo raffiné de l’altiste ou d’une intro rêveuse du pianiste (tous deux soutenus par la basse raffinée de Lehr), ont contenté le fidèle public des Benzine, Print, Octurn, Aka Moon et autres Kartet, groupes passionnants par leurs recherches rythmiques et par la modernité étrange qui émane de leurs univers largement nourris de l’étude des musiques du monde.

Mais l’auditeur familier dudit univers aura reçu le concert de Benzine version magnétique comme un choc. Pourtant, c’est calmement, lentement, de manière décomposée, que la batterie du leader lance la soirée ; basse, sax et piano l’ont rejointe sans hausser le ton. De Soo-Bin, point. C’est qu’elle attend son heure, tapie dans la salle. Et quand elle fend l’assistance pour gagner la scène, et qu’apparaissent sous les projecteurs sa coiffure d’héroïne de manga et son carnassier sourire on sait, avant même que ne jaillisse d’on ne sait quelles profondeurs sa voix métallique de stentor, qu’on est en présence d’un phénomène.

Soo-Bin Park © H. Collon

Quel charisme ! Qu’elle caresse ou agresse ses percussions coréennes, qu’elle déclame avec de grands airs de ténor de bel canto ou qu’elle susurre avec des gourmandises de petite fille perverse, on ne voit qu’elle : elle attire la lumière et occupe le centre de l’attention - du public comme des musiciens. Et ce n’est pas seulement une comédienne expressive contant des histoires au sens qui nous échappe, mais aussi une musicienne à la voix particulièrement plastique, impeccablement contrôlée, et une rythmicienne dont la précision est d’autant plus opportune que ces messieurs ne se contentent pas de jongler avec des métriques complexes : ils les superposent aussi. Que dire de ces musiciens qu’on n’ait déjà mille fois dit ? Tirons une fois de plus notre chapeau devant tant de science, et qui jamais n’aboutit à la sécheresse. Et quand le meilleur du groove se mêle à la violente beauté de l’Extrême-Orient, que faire sinon se ruer sur le disque et les places de concert ?

Soo-Bin Park © H. Collon