Chronique

Franck Vaillant

Magnetic Benzine

Franck Vaillant (dm, perc), Soo-Bin Park (voc, changgo, kwaenggwari, taepyeongso), Guillaume Orti (as, c-melody, kb), Jozef Dumoulin (p, Rhodes), Jean-Luc Lehr (b)

Label / Distribution : Melisse

Benzine est un groupe inattendu. Après deux albums qui tanguaient entre une électronique torturée et un groove alcalin, le groupe du batteur Franck Vaillant part, sur le label Mélisse, à la rencontre de la musique coréenne et de ses chants complexes extrêmement codifiés. La rencontre avec la chanteuse et percussionniste Soo-Bin Park, très impliquée dans la perpétuation du chant pansori [1] et du samul nori [2], permet à ce quartet puissant d’ouvrir de nouvelles voies à une musique qui respecte les codes de chacun comme pour mieux les associer, parfois jusqu’à la transgression.

Soutenu par la rondeur habituelle de Jean-Luc Lehr, son alter ego rythmique en puissance et en luxuriance, Vaillant a su emprunter des bribes articulées de formes musicales coréennes pour les intégrer dans cette musique pétulante, urbaine et contemporaine. C’est dans ce creuset que le pianiste Jozef Dumoulin passe avec sobriété d’un piano aérien à l’électricité toujours acide de son Fender. On reconnaît parfois sa patte au détour d’une ambiance, notamment sur « Petite étoile de Paris » où une rumeur nébuleuse de chahut enfantin teinte l’influence pansori, très naturaliste, d’une couleur onirique.

Il résulte de cet échange un entre-deux poétique. Si Benzine est devenu, le temps d’un disque, « magnétique », c’est indubitablement lié à ces frottements permanents entre la tradition, réputée fermée, et l’ouverture au monde comme principe d’improvisation. Une démarche où le saxophoniste Guillaume Orti prend toujours toute son ampleur, qu’il assume ici par une présence indispensable. Magnetic Benzine n’oppose pas la délicatesse des structures mélodiques du chant traditionnel à la complexité rythmique d’un jazz très marqué par Steve Coleman, Octurn ou les multiples collaborations du batteur, de Caroline au Magic Malik Orchestra. Au contraire, ces formes prétendument contraires s’attirent et s’unissent avec bonheur.

La musique de Franck Vaillant s’écrit sans que ces références alourdissent les compositions. Il se moque visiblement de tous les carcans stylistiques, comme le démontre l’ouverture de l’album, « L’affaire à l’envers », qui s’alimente à toutes les sources. Avec son incroyable technique vocale, Soo-Bin Park joue le jeu sans a priori ; enchaînant scat guttural issu de l’indéniable rythmicité de sa langue et notes tenues jusqu’au cri quand la musique se fait plus virulente (« Boom Boom Ship »). Aux instruments traditionnels, notamment aux percussions - changgo [3] ou kwaenggwari [4] - elle apporte aussi un regain de complexité à la polyrythmie exacerbée des thèmes.

À aucun moment Magnetic Benzine ne recherche l’altérité pour l’altérité ; il ne s’agit pas ici d’intégrer de manière factice une musique aux antipodes des pratiques occidentales pour créer cette world insipide à laquelle on a trop souvent habitué l’auditeur, mais au contraire d’une vraie rencontre, d’un authentique échange, d’une équilibre réussi dans l’ouverture et l’écoute.

par Franpi Barriaux // Publié le 12 avril 2010

[1Le pansori est une musique chantée traditionnelle coréenne très codifiée, souvent à la gloire d’un personnage marquant, d’un lieu, d’une légende ou tout simplement une poésie…

[2Le Samul Nori est une musique folklorique populaire coréenne festive très percussive.

[3Percussion à double fût tête-bêche qu’on retrouve sous différents noms le long de la route de la Soie.

[4Petit gong à main.