
Autant aller directement au but : Matthew Shipp est un pianiste exceptionnel. On a eu maintes occasions de s’en convaincre, que se soit en solo, en duo avec William Parker, Ivo Perelman, Chad Fowler, ou encore avec son trio, son quartet, etc. Mais c’est au sein du fabuleux quartet de David S. Ware, une formation rare, surnaturelle, et pourtant assez honteusement boudée - mais c’est un autre sujet - que Matthew Shipp s’est fait connaître.
Et depuis, le New-yorkais enchaîne les enregistrements à un rythme impressionnant, pouvant aller jusqu’à cinq albums dans une même année. Nous parlerons donc ici de l’un des disques de Matthew Shipp sortis en 2024, The Data, un double album solo, le vingt-troisième disque du pianiste paru sur le label RogueArt.
Pour celles et ceux qui ont eu l’occasion de voir Matthew Shipp sur scène, sa musique devient alors indissociable de sa gestuelle : il semble happé par le piano avec lequel il entre dans une relation mouvante, pour ne pas dire dansante. Et l’écoute de ses disques, lorsqu’on a été témoin de ces chorégraphies étranges, ramène inéluctablement à ces images.
« Je suis un fil dans l’amphithéâtre de l’esprit ». La phrase inaugure des notes que le pianiste a écrites pour illustrer les 17 pièces musicales de The Data. Ces notes ressemblent à des rêves couchés sur le papier au réveil, dans l’urgence, et donnent un aperçu du foisonnement d’idées, d’images, et de visions qui sont derrière les improvisations du pianiste. Elles se trouvent à la racine de ce jeu ample, rebondissant, jamais à court de mélodies.
On comprend mieux alors cette frénésie discographique. Matthew Shipp joue beaucoup, parce qu’il a beaucoup à dire, et a choisi son mode d’expression, l’improvisation, qui lui permet de ne jamais se répéter. Une sorte de poésie au piano, dont on aura jamais fait totalement le tour, parce qu’elle est en construction permanente.