Chronique

Asylon Terra

Blind Man Running

Pierre Lordet (comp, cl), Anne Quillier (Rhodes, Moog), Lucas Hercberg (b), Clément Black (dms) + Guillaume Perret (saxes), Black Quintet (cordes)

Label / Distribution : King Tao

« Asylon Terra (terre d’asile) est un manifeste émotionnel. A l’heure où le droit d’asile est une notion controversée, où l’Europe enfermée impose à tous son inconscient morbide, Asylon est une décharge d’émotions, une façon d’exorciser cette insoutenable réalité selon laquelle chacun doit protéger sa parcelle de l’Autre » explique Pierre Lordet, compositeur et clarinettiste, à l’origine de ce projet né il y a trois ans d’une envie de porter sa clarinette sur de nouveaux territoires musicaux, l’accompagnant de pédales d’effets.

Ce n’est pas si souvent qu’on découvre un premier album d’une telle envergure, à l’imaginaire aussi puissant. C’est un univers pleins d’images qui se déploie à l’écoute de Blind Man Running, dont le propos artistique se révèle décidément très abouti. Jusqu’à cette pochette qui véhicule déjà tant de musique. Les premières notes de « Blue Salad Eating » font penser à un appel lointain, en code morse, une invitation vers ce tout autre, loin de notre réalité parfois trop facilement morose. Le morceau « Blind Man Running » a un petit air de famille avec PJ Harvey, et nous confirme que le style d’Asylon Terra n’est pas défini, et n’a finalement guère besoin de l’être. Le très émouvant « Elle regarde son reflet » a des allures de western des temps modernes, un morceau à l’élégance rare des grandes œuvres d’Ennio Morricone. « Ginger Cooking » nous remue, « Occupied Territories » nous réveille, et « Castles Burning » - le morceau et son superbe clip - nous envoûte… Chaque titre dit quelque chose de cette terre d’asile où se font entendre de nombreux langages.

Pour interpréter une musique d’exception, il fallait des artistes non moins exceptionnels. Entouré de musiciens qui n’avaient encore jamais joué ensemble, Pierre Lordet a réussi à créer un vrai groupe, une formation musicale au sein de laquelle les « noces chymiques » se réalisent. On retrouve Anne Quillier (qui n’est plus à un beau projet près) au Fender Rhodes et au Moog, Lucas Hercberg à la basse et Clément Black à la batterie, tous acteurs de la restitution d’une œuvre qu’ils rendent à la fois très personnelle et universelle. A noter également la présence d’invités de choix : Guillaume Perret et le Black Quintet (cordes).

Poétique, inspiré et inspirant, Blind Man Running nous fait prendre de la hauteur, et d’une certaine manière nous invite à regarder plus loin qu’à notre habitude. A chacun de partir vers sa propre terre d’asile, que l’album représente à tel point que l’on se prend à s’y réfugier souvent. Asylon Terra nous offre là un premier disque stupéfiant par sa force et son lyrisme, qui parlera à tout un chacun, et qui nous rappelle que la musique a aussi le pouvoir de nous élever.