Chronique

Melissa Aldana

Echoes Of The Inner Prophet

Melissa Aldana (ts), Lage Lund (g), Fabian Almazan (p), Pablo Menares (b), Kush Abadey (dm).

Label / Distribution : Blue Note

Les molécules de laiton du saxophone ténor de Melissa Aldana prennent vie sous l’effet d’un souffle issu de son organisme, dont la moindre cellule semble imprégnée de l’univers de ses prédécesseurs - en particulier Wayne Shorter, ce prophète intérieur dont elle ressent et restitue les échos avec une profondeur insondable. « Quand je pense à Wayne, je pense aux couleurs », déclare-t-elle au sujet du titre « Echoes Of The Inner Prophet », précisant que « c’est comme être au milieu de l’océan dans l’obscurité de la nuit – et puis vous voyez une baleine apparaître et vous entendez cette note grave ». Son jeu est éminemment vital. Et vertical, évidemment, puisque les structures harmoniques de ses compositions ont une exigence artistique au-delà des canons établis du jazz, nanties qu’elles sont d’une architecture poétique touchant à l’universel - issue d’un intense travail de recherche sur les textures sonores avec le guitariste/producteur avec qui elle travaille depuis une dizaine d’années, Lage Lund.

Certes, elle a de qui tenir : petite-fille et fille de saxophonistes chiliens, elle jouait par cœur à l’âge de dix ans le solo de Charlie Parker sur « Just Friends ». Elle fut la première femme instrumentiste à remporter le prix Thelonious Monk en 2013, bénéficiant notamment des encouragements de Danilo Perez lorsqu’elle s’inscrivit à la Berklee de Boston alors qu’elle « faisait le métier » depuis quelques années à New-York. Cependant ses propositions ont ici simultanément les atouts et les faiblesses des vibrations de la vie elle-même. Cette écologie musicale profonde génère des émotions contrastées constantes, comme autant de sorts bienveillants, dont l’auditeur·rice ne peut sortir indemne. Peut-être parce que, parmi ses inspirations non musicales, elle se plaît à avancer les figures de Frida Kahlo et de Toni Morrison, ou bien parce qu’elle est férue de mythologie - ses compositions sont autant de labyrinthes mélodiques, harmoniques et rythmiques dans lesquelles ses compagnons de jeu se plaisent à semer le trouble à ses côtés. Ce disque a quelque chose d’une quête cosmique.