Chronique

Cyrille Aimée

Move On - A Sondheim Adventure

Cyrille Aimée (voc, arr), Assaf Gleizner (p, elp, arr), Thomas Enhco (p), Jérémy Bruyère (b), Yoann Serra (dm)

Label / Distribution : Mack Avenue Records

« L’espiègle du jazz » s’est doublement ressourcée dans son dernier album. D’une part en se saisissant du répertoire du compositeur légendaire de Broadway, Stephen Sondheim ; d’autre part en insufflant à son langage musical des vibrations de la Nouvelle-Orléans, où elle est désormais établie. Elle a su extraire la substantifique moelle de l’un des derniers grands auteurs de comédies musicales, qui prolongea et bonifia le « Great American Song Book » (les paroles de « West Side Story », entre autres, c’est lui), en projetant des pans de son autobiographie dans ses choix, esquissant les nuances d’une conteuse.

La voix narquoise de Cyrille Aimée se déploie avec malice et tendresse au sein d’un ensemble musical diversifié mais ô combien cohérent. Elle conduit les musiciens par le fil opiniâtre de son art vocal à donner le meilleur d’eux-mêmes, et, en retour, ces derniers la poussent dans des retranchements où elle n’a d’autre choix que de délivrer l’un de ces fabuleux scats dont elle a le secret. Que ce soit sur une redoutable pulsation néo-orléanaise (« Move On ») ou sur une soul intimiste, ou bien enveloppée d’un violon et d’un piano électrique (elle a sollicité Thomas Enhco pour l’occasion), sans oublier quelque détour par le swing manouche – « So Many People », avec son compagnon de route Adrien Moignard, qu’elle connaît depuis qu’elle fréquenta les jams manouches autour du festival de Samois-sur-Seine - ou l’accompagnement à la loop-station (ces deux derniers « genres » ayant établi sa marque de fabrique), elle se saisit avec panache d’un répertoire réputé sacrément casse-gueule. Sachant son appétence pour la contrebasse (une vidéo circulant sur le net la montre délivrant une version époustouflante de « Tricotism », le standard d’Oscar Pettiford - premier véritable thème pour la quatre-cordes - en duo avec son bassiste d’antan), elle se livre tout entière à un duo avec l’instrument, tenu d’une main de maître par Jérémy Bruyère, dans une danse vocale avec l’instrument, d’une spiritualité sans fard (« They Ask Why I Believe in You »). L’ensemble est remarquable de bout en bout, passant par des plages dansantes à souhait (« Being Alive ») et se terminant en duo intimiste et sensuel avec le guitariste Diego Figueiredo, expert ès rythmes brésiliens, qu’elle retrouve ici (« With So Little to Be Sure Of », hymne fragile).

Certes, Sondheim lui-même l’avait sollicitée pour une comédie musicale sur les planches new-yorkaises en 2013 mais, sur ce disque, tout se passe comme si elle transcendait la dimension scénique. S’il n’était qu’un titre qui synthétise cette sensation, c’est celui qui donne son nom à l’album : « Move On » s’empare de nous par les mélismes vocaux de la belle, magnifiés par la batterie de Yoann Serra et le saxophone soprano de Maxime Berton.

par Laurent Dussutour // Publié le 26 avril 2020
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