Tribune

Michel Dorbon, l’ami de Paris

Steve Dalachinsky nous a quittés. Il allait avoir 73 ans. Il a joué avec les plus grands. Sur son lit de mort, avec sa femme Yuko, il écoutait Jackie McLean, Monk, Coltrane, Taylor. Comme dirait Noël Akchoté, il est jazz.


Michel Dorbon et Steve Dalachinsky. 2009. © RogueArt

J’ai du mal à situer avec exactitude à quand remonte nos tout premiers contacts ; quelque part entre 1999 et 2004.
Depuis cette date incertaine, au gré de nos rencontres à New York ou Paris, notre amitié s’est construite petit à petit jusqu’à devenir comme une évidence. Cela s’est fait par petite touche d’abord, jusqu’à ce que, assez vite, le tableau devienne complet.

Steve Dalachinsky, Chevalier des Arts et Lettres avec Joëlle Léandre à RogueArt, Paris 22 octobre 2017 © RogueArt

RogueArt ayant débuté en 2005, Steve nous a accompagné tout au long de ces presque 15 ans d’existence. Nous avons publié deux de ses livres (le premier avec Matthew Shipp, le second avec Jacques Bisceglia) et un CD (avec Dave Liebman) ; et nous devions nous voir cette semaine à New York pour, entre autres, parler d’un éventuel enregistrement avec Matthew Shipp. Il a également écrit bon nombre de notes de pochette pour les albums que nous avons produits.

Mais son influence sur notre label va bien au-delà. Dans les rues de New York ou de Paris, chez nous (où il a très souvent logé, peut-être un an en cumulé…), dans le métro, pendant les repas… nous avions d’interminables discussions sur de très nombreux sujets, dont, évidemment, la musique (mais pas uniquement). Sa connaissance de la scène jazz était sans comparaison avec à la mienne ; pendant près de 60 ans, poète et artiste, il était partie prenante de la scène New-Yorkaise, autant, si ce n’est plus, que les musiciens eux même. Et son jugement était particulièrement pertinent.
Il ne me donnait pas de conseils, pas plus qu’il ne me faisait de suggestions ; ce n’était pas la question. Nos innombrables discussions, à force d’infuser, m’ont aidé à conforter mon jugement ; pas tant sur tel ou tel musicien, mais sur une esthétique générale.

Notre amitié ne se limitait à notre relation autour du jazz ; elle était réelle, malgré la distance et nos différences. Et comme dans toute relation d’amitié, nous nous apportions mutuellement. Si j’ignore ce que j’ai pu lui apporter, je sais ce que je lui dois. Comme il a aidé RogueArt à grandir, il m’a aussi aidé à me dépasser. Merci.

Michel Dorbon, Septembre 2019

par // Publié le 4 octobre 2019