Scènes

Guide du jazz à Manhattan et Brooklyn (III)

Concerts et ambiances de clubs - Nov. 2006 (1)


Cette partie du guide du jazz Manhattan, qui fait suite au Petit guide du jazz à Manhattan et Brooklyn (II) donnera une idée des concerts auxquels nous avons assisté, de l’ambiance des clubs, des prix pratiqués ; peut-être donnera-t-il aussi au lecteur l’envie de se vérifier par lui-même…

Le reporter de Citizen Jazz a préféré assister à des concerts dans la veine free ou « creative music ». Mais on trouvera aussi dans cet article des concerts en big band, du mainstream, du Hard Bop et de l’électro. Il est conseillé de se référer au Petit guide du jazz à Manhattan et Brooklyn (II), qui comporte une courte description plus imagée des clubs new-yorkais. Evidemment, certains de ces compte rendus présentent des musiciens jamais vus ou entendus en France.

Sommaire :

Po Jazz avec Joe McPhee, Gorda Solomon
The Cookers avec Charles Tolliver, George Cables
Jesse Elder quintet
Mark Capon trio
Tim Ziesmer quintet
Tin Cup
Jason Lindner’s Now vs Now
Mark Helias trio
Donny McCaslin Group
Andy Mc Wain & Reuben Radding
Maybe Monday avec Fred Frith, Miya Masaoka
Sabir Mateen quartet

CONCERTS

PO’Jazz « Poetry in Partnership with Jazz » est programmé selon une fréquence mensuelle au Cornelia. L’hôtesse et programmatrice est la poétesse Golda Solomon dite « The Medecine Woman of Jazz », fondatrice de PO’Jazz. Cette habituée des clubs de jazz du Village dans les années 60 apporte un témoignage personnel d’une époque où le jazz faisait partie du quotidien.

La séance (peut on parler de spectacle alors que tout s’apparente à une présentation des oeuvres de la gourou ou mentor respectée et de ses ouailles ?) commence par une poésie de la prêtresse elle même. Son premier texte en prose raconte l’histoire de Margaret et de sa passion pour le jazz, les esprits qui remplissent sa vie et qui sont aussi ceux du jazz (blues, ragtime, free, Trane, Monk). Elle est accompagnée au soprano par Joe McPhee, venu remplacer un Matthew Shipp qui manque ce soir-là à l’appel. McPhee s’efface devant G. Solomon en se mettant à sa totale disposition artistique. Il se distingue par une tenue à la fois sportive et militaire alors que la poétesse est très apprêtée. Il agrémente les humeurs de Margaret, notre héroïne, de multiples clins d’oeil allant de Monk aux expressions les plus libres. G. Solomon met en scène son histoire par des bruits, soufflements et force expressions théâtrales servies par une diction irréprochable qui permet à l’étranger de comprendre un Américain souvent châtié.

Annie Dinerman prend la suite. Cette « songwriter » (auteure-compositrice-interprète) a été la bénéficiaire en 2006 de la Songwriter Guild du « Songwriter Hall of Fame » de NYC. Avec classe, sans éclat mais avec parfois un peu de pathos, elle interprète trois chansons féministes : « Magdalena, No », « Single Woman » et « Blue Bird ». G. Solomon la rejoint pour une poésie amusante et ironique sur le physique et la vieillesse des femmes (« Old Woman Blues ») ; Dinerman chantonne pour l’accompagner. La jeune Elizabeth Phaire, intimidée, commence, elle, par une composition au piano, très appréciée, dont Solomon qualifiera la mélodie de « haunting » (obsédante). Après cette mise en bouche, Phaire fera rire le public avec un poème sur la vie à New York et l’influence de la bible sur la société new-yorkaise.

Puis Steve Dalachinsky monte sur scène et se présente comme un « Jazz Poet » accompagné par Joe McPhee, « Jazz Musician ». Très connu pour ses activités dans le milieu du jazz [1], il collabore souvent (et depuis plus de 20 ans) avec William Parker, Charles Gayle, Matthew Shipp, Daniel Carter, Sabir Mateen… Ce soir, ses propos irrévérencieux sur la religion et la société américaine feront sourire certains, grincer des dents les autres. Entre incantation politique, poésie et chant (« Sometimes I Feel Like A Motherless Child » soutenu par McPhee), rudes et free comme à son habitude, Dalachinsky est un narrateur-acteur très investi sur scène et bien secondé par un Joe Mc Phee qui nous a éblouis avec une version de « Naima » purement stupéfiante. Peut-être le moment le plus intéressant, en tout cas le plus vivant, de ce début de soirée.

Po Jazz se termine par un duo de poètes inattendu : G. Solomon propose un autre poème imagé alors que Dalachinsky improvise en scattant ou en intervenant par bruits et vocalises en écho à sa mise en scène et son histoire.

  • 16 novembre 2006 - Jazz Standard - The Cookers - Entrée $25 par set

Billy Harper - ts
James Spaulding - as
Charles Tolliver - tp
David Weiss - tp
George Cables - p
Cecil McBee - b
Gene Jackson - dr

Dirigés par Tolliver et Weiss, The Cookers, pour ce set d’une heure, ne jouent que des pièces de leur composition. À son habitude, Tolliver est en retrait ; il porte son habituel gilet de laine foncé, son béret noir et des lunettes assorties. Très directif avec ses « employés-musiciens », il propose un Hard Bop très viril avec des chefs-instrumentistes de haut niveau qui ont bien compris que pour tenir sa place il ne faut pas avoir peur de la compétition au sein même de la cuisine.
A part à Weiss, son co-leader, Tolliver lance des défis à ses musiciens en désignant tel ou tel du doigt pour un chorus. Parfois, il leur explique ce qu’il attend d’eux. Pour autant ces défis n’empêche pas l’ancêtre Spaulding d’utiliser son statut pour arracher des chorus aux autres musiciens.

Bref, le niveau de jeu est très élevé, les musiciens mettent tout ce qu’ils peuvent dans leur part d’expression : c’est un sans faute technique. Malheureusement, la musicalité n’est pas toujours au rendez-vous. Pour exemple, le groupe joue « Round Midnight » sur un tempo « up » démoniaque, sur un arrangement très compliqué de Tolliver. C’est très sportif et remarquable, mais éprouvant pour l’auditeur. Du haut de son coussin perché, George Cables, pas impressionné pour deux sous, assure une rythmique sans faille, avec une main gauche puissante. Le seul soufflant à ne pas rentrer dans le jeu des compétiteurs est Billy Harper, qui livre un chorus d’une rare netteté et plein de respiration sur « The Paradise » de Tolliver, morceau à rythmique salsa qui swingue tout seul.

En France, ce type de prestation technique s’attirerait critiques et remontrances pour son peu de musicalité ; mais ce n’est pas le cas ici : le public jubile, s’exprime et en redemande. Différences culturelles obligent…

  • 16 novembre 2006 - The Garage - Jesse Elder quintet - Entrée Libre. Consommation obligatoire

Jeremy Weiner - ts
Adam Jackson - dr
Chris Tordini - b
Jonathan Powell - tp
Jesse Elder - p

Une belle découverte comme on aimerait en faire plus souvent… Les compositions de Jesse Elder sont d’allure moderne, avec un petit côté « musique contemporaine », dans l’acception la plus courante du terme. Mais derrière tout cela, on perçoit un blues et un groove latents, suivant un déploiement du morceau plutôt mainstream moderne. Tout se passe dans la flexibilité de la musique, la souplesse des musiciens. Contrairement aux Cookers, que l’on vient de quitter, personne ne cherche à écraser l’autre, tous sont au service de la musique d’Elder ; ils y parviennent posément et sans peine. La structure musicale, complexe, ménge des espaces propices aux chorus longs, qui peuvent être touffus. Pourtant, cette complexité ne nuit pas à l’écoute : les thèmes sont entrecoupés de « stops and go » groovy et fins. On apprécie aussi les moments de respiration. A plusieurs reprises on se sent bercé, voire transporté, dans une bulle de coton libérée de la gravité. Au final, un concert éblouissant d’originalité et d’expressivité.

  • 17 novembre 2006 - The Garage - Mark Capon trio - Entrée Libre - Consommation obligatoire

Mark Capon - elg
Franck Hauch - b
Robert Weiss - dr

Mark Capon est très apprécié du public du Garage. Dans un style à la Grant Green, Capon joue son jazz avec talent et simplicité malgré une rythmique particulièrement minimaliste . Son jeu est souple, tendre et sobre, le guitariste joue en continuité sans laisser de véritables espaces aux autres musiciens. Sans virtuosité démonstrative, même si on devine le bon technicien, ce guitariste est capable de n’exprimer que des lignes mélodiques pendant ses chorus. Il finit même par être impressionnant tant ses idées semblent continuellement uniques et innovantes. Pas étonnant que ce vieux briscard plaise dans ce type de lieu. On aurait aimé l’entendre dans un contexte plus reposant pour l’oreille, car il en vaut la peine.

  • 17 novembre 2006 - Barbes Club - Tim Ziesmer quintet - Entrée au chapeau - Consommation obligatoire

Tim Ziesmer - elg
Curtis Hasselbring - tb, elg
Take Toriyama - dr
Chris Speed - ts
Nate Radley - elb (habituellement guitariste, mais qui fait le gig à la basse par amitié pour Tim Ziesmer, selon ses propres termes)

Jazz-rock-fusion moderne à rythmique new-yorkaise, moderne elle aussi, avec quelques métriques impaires bien léchées. Concert de qualité correcte dans son ensemble, sans plus. Concrètement, Ziesmer a engagé des musiciens pour l’occasion (il les paiera après le concert moyennant $30 chacun, comme convenu avant le concert… Eh oui, avec le « chapeau », rien n’est jamais sûr…). Ces derniers jouent donc à vue, et cela s’en ressenti, en particulier sur les ponts.

Le concert reste intéressant, notamment de par la présence de Chris Speed, et parce que la structure des compositions est à géométrie variable : tout se décide à chaud, moyennant des indications à la fois directives et évasives, distribuées a la volée par Ziesmer. Structure essayiste pour musique écrite…

Ziesmer joue avec médiator (sans pour les sonorités d’ambiance et les échos). Selon le cas le son est différent, et on finit par attendre les passages en accompagnement et apprécier ces nombreuses variantes sonores. Il attribue peu de chorus longs à chaque instrumentiste, préférant soit des chorus rapides, sur quelques mesures, soit des moments d’expression libre, superposée à la partie des autres musiciens, alors que la guitare scande un riff obsédant. Cela surprend, mais on finit par adorer ce système. Ziesmer, lui, prend des chorus plus longs, en restant dans les limites du raisonnable. Speed finit par être le principal bénéficiaire de ce procédé car il se colle aux riffs du guitariste, s’en inspire et réussit à nourrir l’évocation du leader.

Si la structure de la musique de Ziesmer est mouvante, ses compositions sont rythmiquement très intéressantes, basées sur des riffs mélodiques et syncopés. Dès la fin du concert (plus intéressant dans sa structure que sur le plan purement musical, en fin de compte), les musiciens débarrassent le plancher en 10 mn, batterie comprise, pour laisser place aux suivants.

  • 17 novembre 2006 - Barbes Club - Tin Cup - Amanda Kapousouz - Entrée au chapeau - Consommation obligatoire

Rien à voir avec le jazz, mais ce concert enthousiasmant mérite d’être évoqué. Amanda, la femme-orchestre (sans côté péjoratif) est plutôt rock’n’roll. Elle propose une musique simplissime, en enregistrant ses divers instruments pour obtenir une série de boucles ; à terme, elle semble être accompagnée par un orchestre virtuel. Rien de bien nouveau, mais l’exécution est parfaite. À ces « loops » de vibraphone, de violon, d’accordéon et de guitare, Amanda Kapousouz mêle sa voix, que souligne une batterie électronique, le batteur se contentant de marquer les temps forts. Pleine d’humour et de bonne humeur, elle trouve son public - qui se montrera très généreux quand passera le chapeau.

  • 17 novembre 2006 - Blue Note - Jason Lindner’s Now vs Now - $10 + consommation obligatoire - Minuit et demi

Avishai Cohen - tp
Jason Lindner - p, synthe, electro
Mark Giuliana - dr
Panagiotis Andreou - elb

Si, si ! il s’agit bien d’Avishai Cohen ! Mais le trompettiste, et non le contrebassiste ! La confusion est d’autant plus facile que Mark Giuliana est batteur sur le dernier projet d’Avishai Cohen… le contrebassiste, et aussi celui de Jason Lindner sur « Now vs Now ».

Nous voici partis pour un concert de « jazz rock électro jungle » déchaîné, démentiel, à base d’instruments aux sonorités trafiquées : échos et distorsions sur la trompette, synthé drogué à l’électro, basse électrique à fond les manettes… pour une musique et des sonorités ultramodernes.

A la batterie, Mark Giuliana, inspiré par le côté jazz-jungle de Michael Sarin (Thomas Chapin trio), n’est pas en reste par ses choix rythmiques et les déferlements hystériques de rythmes électro que l’on retrouve dans beaucoup de styles musicaux. À force de syncopes et autres contretemps, son apport est primordial : il conditionne les interprétations des instrumentistes. Par moments, on croit entendre une musique faite de « gimmicks » répétés à l’infini. Mais la dimension rythmique créée par le groupe dans son ensemble, ainsi que les sons électro et les distorsions diverses, créent un univers solide évoquant le stress de la vie new-yorkaise, avec une sensation de vitesse et de glissade incontrôlée.

Les compositions de Lindner et des autres sont équilibrées et de très bonne facture. Non seulement on est entraîné par les mélodies, mais on a envie de chanter avec Panagiotis Andreou, qui double ses chorus par des vocalises « ethniques » et des chants en grec, particulièrement remarquables sur une ballade et un duo basse-piano délicieux.

Avishai Cohen est le plus expressif ; son jeu inspiré déploie une musicalité surprenante dans cet environnement ultra électrique. Au vu des origines variées des membres du groupe (New York, Athènes, Tel Aviv) et de la mixité culturelle qu’elles induisent, il est clair qu’un des objectifs de Lindner est de proposer une musique multi-culturelle porteuse d’un message d’espoir touchant, le tout dans un univers futuriste. Comme pour rappeler les sources de cette musique et terminer cette prestation intelligemment menée, le concert se termine - vers trois heures du matin - sur un blues moderne et profond.

  • 18 novembre 2006 - Cornelia Street Cafe - Mark Helias trio - $10 pour le concert + consommation obligatoire par set - 20h

Tim Berne - ts
Tom Rainey - dr
Mark Helias - b

Ce qui serait un petit événement partout en France n’en est pas un à Manhattan : la salle est à moitié pleine. Il faut dire que ce trio tourne beaucoup sur la place. De plus, le public doit mobiliser toute son attention pour absorber cette musique complexe, rythmiquement et harmoniquement.

Comme à son habitude, Tom Rainey est magistral de musicalité, d’anticipation et d’improvisation. Tim Berne, loin d’être flamboyant en première partie, s’exprime tant bien que mal dans le rôle du chorusseur principal en manque d’inspiration (« Illustrate », « CPJ »). En tout cas, dans un premier temps… En effet, sur « Jazz and Marks », très applaudi, Helias « transcende » le trio par un chorus très expressif mêlant technique et envoûtement. Dès lors, la machine se met à tourner. Le deuxième set commence par « Araka » et, comme si la fleur était éclose, le groupe devient particulièrement expressif - encore que tout en douceur. Un groove impalpable, agrémenté d’émotions furtives, nous entraîne dans un mouvement de balancier, des allers-retours involontaires que l’on ne maîtrise pas. L’impression générale est indéfinissable : cette musique se vit dans l’instant, comme ces successions d’images ou de courtes séquences que l’on peut voir dans les créations expérimentales des V-jays londoniens (« The Blue Dark Line »). On note néanmoins une ligne directrice claire dans le choix des pièces : on part d’une écriture contemporaine froide et abrupte pour aboutir à un jazz plus expressif et des valeurs émotionnelles chaleureuses.

Citizen Jazz évoque dans ses colonnes ce saxophoniste très intéressant, que tout le monde s’arrache à New York. McCaslin est le ténor sax du Dave Douglas quintet ainsi que de Maria Schneider, et a beaucoup travaillé, entre autres, avec David Binney et Danilo Perez. Le gaillard a un son énorme, frappé et épais. Il joue du jazz sur des rythmes latins. Rien de nouveau là non plus ? Il se trouve justement que si. En tout cas, rien à voir avec le Latin Jazz. Car le cachet latin de McCaslin est à peine perceptible, mais sa rythmique nettement marquée ; son jeu moderne, à la fois posé et excitant, se construit sur des rythmiques latines pointues alors que le discours est jazz. Son pianiste George Colligan mérite une mention spéciale pour son jeu plein d’ampleur et de verve. Sur « Push Up the Sky », le groupe a surpris son monde ; lors d’un hommage à Hermeto Pascoal, « O Campeo », puis sur une pièce dédiée à Billy Strayhorn, on reste coi tant le jeu du saxophoniste s’approprie la pièce avec une recrudescence de nuances et de phrasés perpétuellement imaginatifs et mélodieux.

Enfin, Gene Jackson est un socle rytmique métronomique. A NYC, Donny McCaslin intéresse au point d’attirer des membres de la communauté latino, phénomène rare dans le milieu du jazz américain.

Andy McWain - kb
Reuben Radding - b

Ce magasin de disques, dont on ne peut que faire l’éloge pour le choix proposé, les prix raisonnables et les très bon conseils du boss, Bruce Gallanther, organise tous les dimanches un concert gratuit. Après cette mise en bouche, l’étape suivante consiste à se rendre au concert de 20h au Stone. On y découvre des affiches assez étonnantes puisque le 5 décembre 2006 était prévu un concert de cornemuses avec Paul Dunmall et Matt Welch (Paul Dunmall jouant juste après au Stone, d’ailleurs).

McWain et Radding proposent un concert de jazz harmolodique sur des impros ou des standards plutôt bien arrangés. Les lignes de basse sont entraînantes et le piano assez en retrait. Très talentueux dans ce rôle d’accompagnateur, McWain a les yeux rivés sur le manche du contrebassiste et ne manque jamais de rebondir sur ses sonorités. Citons, au rayon des techniques sonores puisées dans son catalogue, les épingles à linge placées au niveau du chevalet. Cela lui confère la possibilité de jouer huit notes au lieu de quatre, avec des vibrations inhabituelles, en particulier lorsqu’il joue à l’archet. La musique est tantôt rêveuse, tantôt tendrement grinçante, allant jusqu’à évoquer des courses-poursuites ou des scènes angoissantes.

  • 19 novembre 2006 - The Stone - Maybe Monday - 20h - $10 par set

Miya Masaoka - koyo, electro
Larry Ochs - ts, sopranino
Fred Frith - elg
Gerry Hemingway - dr

Un concert qui s’annonçait bien… et qui fut magique. La salle du Stone se prête particulièrement à cette musique avec son côté gris béton fataliste et désabusé. La musique furieuse puis poétique, en tout cas spontanée, de Maybe Monday est criante d’émotion. La guitare préparée de Frith fait frémir par sa sonorité pure. Son mariage avec le koto de Miya Masaoka est une pure merveille ; quel beau couple !

Après ces moments de rage, la tendresse qui rassure, donne envie de vivre, de sortir de cet enfer de détresse où nous engloutit Frith. Craquements, claquements, gonds rouillés, cieux en colère, explosions, drames, douceur et poésie figurent aussi au registre de ce magnifique batteur qu’est Gerry Hemingway. Quel talent chez ces trois musiciens inventifs et inspirés ! C’est manifestement Ochs qui hérite de la tâche la plus rude. La palette expressive et sonore du koto et de la guitare est telle que le sax paraît bien seul. Son salut pourrait venir de l’énergie, mais Ochs colore, ponctue sans convaincre. Parfois, de lui-même, il s’abstient d’intervenir.

  • 20 novembre 2006 - Le Tonic, Sabir Mateen quartet - 20h - $8 par set

Sabir Mateen - ts, as,ss, fl
Raymond A. King - p
Jane Wang - cb, cello
Ravish Momin - d, perc

Le groupe vient de jouer à Kingston (NY) et à Troy (NY). Il est donc un tant soit peu rodé. Dans cette salle à moitié pleine que l’on aurait aimée plus vivante, on sent que le lundi est un jour « off » à NY. Le dimanche, au contraire, les New-Yorkais sortent pour se remettre de leur samedi chargé ; et le mardi, pour honorer le week-end suivant, qui n’a jamais été aussi proche ! New York City ne faillit pas à sa réputation de Party Town…

Le concert commence par les cris, onomatopées, scats et pleurs de Mateen. Très free, violent et déterminé, dans la plus pure veine AACM, sans aucune structure apparente, sauf peut-être celle de l’atmosphère que les musiciens créent et détruisent alternativement. La très percussive contrebassiste Jane Wang qui tire pleinement parti de la superficie de son manche, y trace des figures, littéralement parlant : elle croise les doigts et les cordes au gré de ses séquences, montant et descendant le long de l’instrument. Après un chorus très intéressant dans les graves, avec des effets de pédales, elle finit par créer une atmosphère à laquelle le groupe s’associe, hormis le pianiste Raymond A. King, style taylorien (Cecil…), en roue libre - voire très libre…

Au sax tenor, Sabir Mateen a un son puissant, rarement entendu - un son chaud et de bon goût. Le concert prend alors un relief nouveau, car après le tsunami musical, on aboutit à une musique soulagée et plus calme, pour repartir de nouveau, certes, mais avec une dimension nouvelle, plus inspirée car plus structurée. Et pour cause : Mateen a sorti les partitions… Sur un ragtime free, le pianiste rappelle par certains côtés Don Pullen et Dave Burrell dans leurs chorus free à tendance roots. Le batteur, Ravish Momin, percussioniste du trio Tarana, très inspiré par les musiques du nord de l’Inde, n’est pas à la hauteur et manque souvent de créativité.

De ce concert, on retiendra le très gros son du leader au ténor, et sa tessiture exceptionnelle dans les aigus à l’alto.

(À suivre…)