Chronique

Michel Mandel / Yves Gerbelot

Tuyaux

Michel Mandel (cl, bcl), Yves Gerbelot (bs, ss)

Label / Distribution : Label Forge

Fondateur avec François Raulin et Pascal Berne du collectif grenoblois La Forge, le clarinettiste Michel Mandel est souvent inséparable de son alter ego soufflant, le saxophoniste Yves Gerbelot. Du Novo quartet à La Grande Forge, le grand ensemble du collectif, les deux musiciens ont toujours pris un évident plaisir à enchevêtrer les timbres sans pour autant croiser le fer. C’est donc naturellement qu’ils ont eu envie de se retrouver en tête-à-tête pour une discussion improvisée autour de leurs instruments, transmués pour l’occasion en chaleureux Tuyaux.

Mais quels sont ces tuyaux ? Sont-ce les canalisations souterraines qui naviguent dans les errements du baryton de Gerbelot (« Spéléo ») ou sur la douce frénésie de la clarinette basse de Mandel (« Poisson Chat ») ? A moins que ce ne soit ces grands capteurs de l’air du temps qui font briller les poésies collectives de « Butineuses de rosée » ? Un peu tout cela à la fois, en fait. Mandel et Gerbelot jouent d’une large palette pour suggérer et dessiner un réseau de connexions entre leurs instruments. Il faut d’ailleurs saluer ici l’enregistrement extrêmement charnel où les souffles muets et le cliquetis des clés sont comme autant de rythmiques suggérées (« Clé de 32 »).

La force de ce duo est de créer une authentique énergie au sein d’une atmosphère chambriste, sans jamais s’enfermer dans un rôle défini. Michel Mandel travaille souvent avec un scénographe, Yves Gerbelot compose pour la danse contemporaine. On perçoit vite dans leurs échanges un même souci du mouvement et de l’harmonie. Ainsi, sur le très poétique « Semences sidérales » qui ouvre l’album, un ostinato de clarinette basse qui résonne comme un orgue étrange amène Gerbelot à développer un jeu plus anguleux, comme on déchire de la ouate. A l’inverse, sur le formidable « Nusrat », les coups de boutoir du baryton permettent à Mandel d’enflammer une mélodie empreinte de teintes orientales et de reflets klezmer.

Dans cette rencontre intime, les deux musiciens inventent de frêles paysages qui s’évadent dans un souffle en évoquant des images fugaces. C’est « Haïku », en fin d’album, qui révèle le dessein de Tuyaux. En 16 morceaux au format très court – certains font moins de 2’30 -, Mandel et Gerbelot captent un instant, une lumière ou encore une couleur, à l’instar de ces petites formes poétiques japonaises où l’épure et la simplicité n’empêchent pas l’extrême précision. On goûte avec délice ces instantanés servis par deux artistes complices et inventifs, certain d’avoir découvert de très précieux tuyaux