Tribune

Pharoah Sanders, la spiritualité n’est plus

Le saxophoniste Pharoah Sanders (1940-2022), un parcours mystique.


Pharoah Sanders © Michel Laborde

De son vrai nom Farrell Sanders, né en octobre 1940 dans l’Arkansas, Pharoah Sanders avait la trempe des personnages qui lui ont donné son prénom de scène. Devenu sans doute malgré lui un mythe, détenteur d’une discographie faramineuse, le saxophoniste, plus célèbre héritier de John Coltrane, a produit une musique immédiatement identifiable par sa profondeur et son ampleur. Il avait lâché l’anche il y a une dizaine d’années avant de revenir l’an dernier dans un disque intrigant avec l’artiste électronique Floating Points. Il est décédé le 24 septembre 2022 à l’aube de ses 82 ans.

Elévation de Pharoah Sanders © Terreur Graphique

Il n’est pas besoin de faire ici une longue rétrospective de la carrière de Pharoah Sanders, commencée avec une passion pour John Coltrane et Sonny Rollins au tout début des années 60. Sanders arrive à New York en 1961 après avoir croisé Sonny Simmons à San Francisco. Ses premiers pas dans Big Apple se font dans la douleur et l’errance, jouant épisodiquement avec Sun Ra ou Don Cherry. C’est en 1964 que la mutation se fait avec son intégration dans les orchestres de John Coltrane. La fraternité entre les deux saxophonistes est étonnante : même si Sanders a su trouver immédiatement son propre son, les gemmes magiques du ténor de Coltrane l’ont marqué à jamais. Sur ce monument qu’est Live at The Village Vanguard Again, sorti chez Impulse ! en 1966, les deux saxophonistes se partagent les canaux, cherchant plus profondément les trésors mystiques qui semblent se cacher entre les tambours de Rashied Ali et le piano d’Alice Coltrane. 66 ans après, ce classique des classiques ne cesse d’affirmer sa fraîcheur et sa nouveauté.

Pharoah Sanders © Christophe Charpenel

La rencontre avec Alice Coltrane fut également déterminante. Après Tauhid, déjà empli de toute une cosmogonie mystique qui flotte sur la guitare de Sonny Sharrock et la contrebasse de Henry Grimes, Pharoah Sanders va se lancer dans la quête d’une entité créatrice et évanescente dans la musique, souvent en compagnie de la femme de Coltrane. Ainsi Journey In Satchidananda en 1971, toujours chez Impulse !, avec Rashied Ali à la batterie et Cecil McBee à la contrebasse est un exemple marquant de cette recherche constante de l’argument ontologique ; il se perpétuera dans la propre discographie de Sanders, dont les années 70 constituent le sommet : même si ce que chacun désigne comme sa pièce maîtresse, Karma, date de 1969, c’est en 1973 que paraît Village of The Pharoah, un disque puissant qui l’installe à jamais comme le grand-maître du culte coltranien.

Une réflexion qu’il mène conjointement avec une vraie conscience de la lutte pour les droits civiques : c’est dans cette période qu’il publie un de ses disques les plus intenses, Black Unity (1972) avec deux contrebassistes (Cecil McBee, Stanley Clarke), deux batteurs (Norman Connors, William Hart), un percussionniste (Lawrence Killian) et un pianiste (Joe Bonner) autour d’un trio de soufflants (Carlos Garnett au ténor et Marvin Peterson à la trompette autour de Sanders).

Pharoah Sanders © Michel Laborde

Après un début d’années 80 dispensable où la ferveur semble s’être un peu éteinte (Journey to The One), il signe en 1988 avec McCoy Tyner un retour gagnant à Coltrane avec A Tribute To John Coltrane / Blues For Coltrane qui finit de le propulser dans un statut de légende. Dans les années 90, on le retrouve avec Bheki Mseleku, un polyinstrumentiste sud-africain. Il apparaît aussi aux côtés de Kahil El’Zabar dans le très beau Africa N’da Blues. Sous son nom, Pharoah Sanders signera avec Trilok Gurtu un Save Our Children marqué par la vague World Music en 1999, où l’usage de l’électronique annonce, une vingtaine d’années avant, sa collaboration avec Floating Points. Événement de l’année 2021, ce disque renoue avec toute l’histoire du saxophoniste qui nous a quittés le lendemain de l’anniversaire de John Coltrane. Ce dernier disque, après des années de retrait, a une valeur testamentaire à réexaminer. Désormais, Pharoah Sanders sait si The Creator Has a Masterplan.

par Franpi Barriaux // Publié le 25 septembre 2022
P.-S. :

Le saxophoniste Lionel Martin, dans son L.A.B / 22 (Long.Amazing.Bundle), un morceau par jour, rend hommage à Pharoah Sanders avec ce titre « Africa (Tribute to Pharoah Sanders) ».