Moustiques et bière de manioc
Carnet de voyage en Amazonie - Premiers contacts avec l’Oyapock
Plus d’un an de préparatifs et de réunions, ça laisse le temps d’imaginer beaucoup de choses à propos d’un voyage comme celui-ci.
Personnellement, j’avais choisi de ne pas trop en savoir pour rester souple et ouvert à toutes possibilités ; mais peu à peu les projections métropolitaines sur la Guyane ont fait leur chemin, dressant un portrait édifiant : une chaleur insoutenable, des insectes sadiques, une insécurité permanente, une pirogue trop étroite pour deux contrebasses, des Amérindiens hostiles et des problèmes de santé en tout genre…
Cela me paraissait donc naturel de partir avec une pharmacie complète et un manuel de survie en pleine jungle dans mon (énorme) sac.
En transit à l’hôtel « Chez Modestine » à Saint-Georges de l’Oyapock avant les six heures de pirogue pour Camopi le lendemain, j’étais emmitouflé dans des vêtements amples imprégnés d’anti-moustique (produit interdit aux moins de douze ans) attendant « la volée » - l’attaque des moustiques à la tombée de la nuit… en vain !
Nous errions aux heures les plus chaudes sans croiser personne
C’est à partir de ce moment que les projections se sont évaporées, que j’ai commencé à renoncer aux conseils donnés en métropole et, enfin libéré de ces petits tracas, que nous avons commencé le travail : d’abord rencontrer les chefs coutumiers Teko et Wayapi, puis créer des ateliers avec les jeunes et bien sûr collecter des chants traditionnels, des sons de la forêt et des scènes de la vie quotidienne.
- Matthieu Prual et Joachim Panapuy - photo Nguyen Le
Grâce à la présence de Florent Wattelier, notre ami ethnomusicologue, au gros travail de préparation de l’équipe de production en amont et à l’aide des associations qui oeuvrent à Camopi (le Parc Amazonien, Camopi Wan), notre venue était annoncée. De là à dire que nous étions attendus, cela serait se méprendre sur la façon dont les Amérindiens se projettent dans le temps (en Teko et Wayampi le mot « projet » n’a pas de traduction !).
Perplexes face au bourg désert, nous avons mis quelques jours à comprendre le décalage avec nos horaires habituels : le bourg s’anime vers 6h du matin et à 20h il est déjà tard, c’est pourquoi nous errions aux heures les plus chaudes sans croiser personne !
Les Amérindiens, leur image, la musique, le folklore en général ont été beaucoup pillés ces dernières décennies et leur méfiance face au collectage est légitime… Après quelques rendez-vous manqués et des explications sur notre démarche un peu abstraite, il fallait faire nos preuves, instruments à la main et surtout rencontrer les habitants de Camopi sur leurs lieux de vie (un archipel de petits villages disséminés le long du fleuve et accessible seulement en pirogue).
- Le fleuve Oyapock au coucher du soleil © Alexis Tenaud
Sur une bonne intuition de Matthieu Prual, nous avons décidé qu’après notre premier concert dans le bourg, nous rangerions les instruments rapidement afin de rencontrer la famille Panapuy (famille de musiciens Teko), quitte à débarquer (littéralement) au mauvais moment : le Cachiri, fête familiale autour de la bière de manioc du même nom, un évènement central et récurrent de la vie locale (nous y reviendrons dans un prochain article).
Après des félicitations pour notre audace et le partage de quelques litres de cette boisson traditionnelle : l’échange pouvait commencer !
Ronan Courty, contrebassiste
No Tongues part en Amazonie, un carnet de voyage sur Citizen Jazz.
Épisode 1 : Imprégnation Mercurielle
Épisode 2 : Moustiques et bière de manioc
Épisode 3 : Brume sur l’Oyapock
Épisode 4 : Le Cachiri traditionnel