Tribune

Imprégnation Mercurielle

Carnet de voyage de No Tongues en Amazonie - 1 mois avant le départ.


No Tongues part en Amazonie, à la rencontre des amérindiens Teko et Wayampi.
La pratique d’ateliers musicaux et le collectage des sons des hommes et de la nature de Camopi, sera suivi d’un travail de résidence de création en métropole à l’automne.
La première sera donnée le 18 janvier 2019 à la Salle Paul-Fort, à Nantes, en co-réalisation avec le Lieu Unique et le Pannonica.

Épris des projections imaginaires de notre voyage imminent vers la Guyane, je rencontre à Paris une personnalité amérindienne de Camopi, Ti Iwan Couchili. La plasticienne - fille du chamane Etienne Couchili éteint en 2005 - crée les ciels de case.
Ce qui à première lecture dans notre esprit occidental viendrait à sonner comme des représentations oniriques sur les plafonds des habitations, est en fait l’œuvre centrale du carbet communautaire que compte chaque village, placée au centre d’un grand dôme. Ce sont des créations de bois authentiques de forme circulaire d’environ 80 cm de diamètre, illustrées d’animaux et de créatures tantôt réels ou mythiques, par l’utilisation de pigments de terres colorées.

Connaître son travail est une plongée sans œillères dans les réalités de la vie sur les berges de l’Oyapock, ancrée dans les traditions mais bousculée par la modernité, meurtrie par le mercure déversé par les orpailleurs illégaux, écrasée par des taux de suicide chez les jeunes jusqu’à 10 fois supérieurs à la moyenne nationale. Ti Iwan utilise la technique de représentation propre aux ciels de case et à l’art traditionnel pour dénoncer la pollution des eaux et l’imprégnation des animaux et des hommes par des taux de mercure très élevés, sous la forme de fresques intitulées « Imprégnation Mercurielle ». Ses superbes travaux ont trouvé en No Tongues une résonance profonde, un attrait artistique puissant, nous suggérant de proposer à Ti Iwan de participer à notre projet « Les Voies de l’Oyapock ».

La rencontre est d’abord marquée par un écart de tempo entre nos prises de parole.
Je m’aperçois qu’à la fin des deux heures vécues ensemble dans un bistrot près de la Gaîté Lyrique, à Paris, je m’exprime deux fois plus lentement qu’au début, au diapason de l’écoute attentive et de la parole sage de Ti Iwan. Mes attentes sont confirmées : la plasticienne partage notre démarche de rencontre et est ouverte sur le monde. Ti Iwan se trouve en métropole pour animer des ateliers culturels à Besançon, sous la forme des Powos, les grandes rencontres des Indiens d’Amérique du Nord. La confrontation des identités et le partage multiethnique anime sa vie personnelle et d’artiste, elle qui trouve ses racines auprès des peuples Wayana et Teko.

Je lui propose une collaboration artistique totale, en lui demandant de poser sur notre venue à Camopi son regard d’artiste, pour créer une œuvre originale commandée par No Tongues. L’œuvre aura une vocation scénographique pour la future création et un sens dans le spectacle que nous pèserons plus encore une fois ce voyage vécu.
Si spontanément ma proposition semble séduire, je découvre alors l’étendue du processus créatif de Ti Iwan. La quête des matériaux - le bois des racines de l’arbre à fromagers, les pigments de terres colorées collectés lors de longues ballades – puis la réalisation même d’une œuvre s’étend sur un mois. Elle imagine travailler sur un format circulaire de type ciel de case. Et, grande nouvelle pour nous : Ti Iwan m’a confirmé sa présence à Camopi lors de notre venue. J’ai aussi glané quelques précisions non négligeables sur notre voyage vers Camopi. Lorsque le fleuve est bas, il peut très bien arriver de devoir tous descendre de la pirogue dans les eaux du fleuve, pour libérer du poids et pousser l’embarcation… Tout comme « les sauts » au départ de la navigation, à quelques coudes du fleuve depuis l’embarcadère serait le moment de remous le plus épineux.
L’aventure a débuté, nous voilà lancés vers « Les Voies de l’Oyapock ».

Alexis Tenaud – photographie et régie technique


No Tongues part en Amazonie, un carnet de voyage sur Citizen Jazz.
Épisode 1 : Imprégnation Mercurielle
Épisode 2 : Moustiques et bière de manioc
Épisode 3 : Brume sur l’Oyapock
Épisode 4 : Le Cachiri traditionnel

par // Publié le 15 août 2018
P.-S. :

No Tongues en voyage :

Matthieu Prual – saxophones et clarinette basse
Ronan Prual – contrebasse
Ronan Courty – contrebasse & objets
Alan Regardin – trompette & objets
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Ti Ilwan Couchili – création des supports scénographiques
Mathieu Fisson – preneur de son et d’images
Nguyen Le – collectage sonore
Alexis Tenaud – photographie et régie technique