Olivier Calmel
Electro Couac Sha-Docks
Christophe Panzani (sax), Frédéric Eymard (alto), Olivier Calmel (claviers), Bruno Schorp (b, ctb), Frédéric Delestré (d), Vincent Peirani (acc), Rémi Merlet (perc), Karl Jannuska (d)
Label / Distribution : Yes Or No Prod
Faut-il rappeler que la musique est une belle histoire de famille chez les Calmel ? Il y a d’abord Alban, le grand-père viticulteur tout autant que musicien et poète, puis le fiston Roger, qui quitta son Languedoc-Roussillon natal sur l’instigation son père pour rallier Paris et étudier avec Darius Milhaud et Olivier Messiaen avant de déployer ses ailes de compositeur et donner de nombreuses œuvres vocales. Autant dire qu’avec un tel patrimoine, Olivier le petit-fils pourrait être attendu au tournant, ne serait-ce que par ses ancêtres directs qui, bien calés là haut sur leur petit nuage, observent avec l’attention qu’on devine le cheminement de leur descendance.
Qu’ils se rassurent : après trois disques en quartet [i] et une activité intense consacrée à l’écriture de musiques de film, avant la mise en œuvre d’autres projets (voir notre entretien), Olivier Calmel nous livre un Electro Couac Sha-Docks, paru sur le label Yes Or No Prod, qui réussit un harmonieux mélange des genres. Dix compositions originales signées du pianiste et un groove omniprésent qui nous emporte dès les premières mesures de « Z Trail OMT ». Son climat n’est pas sans rappeler l’univers de Bojan Z - quoi de plus normal quand on sait que le début du thème est directement inspiré d’un solo que ce dernier jouait voici pas mal d’années aux côtés de son mentor Henri Texier [1] ? Une belle machine à rythme aux enluminures électroniques qui zèbrent les horizons ici et là et se découvrent peu à peu. La suite, celle de « Pompier Pyromane », ne fait que confirmer cette entrée en matière juteuse et continue d’embarquer vers le large le voyageur consentant.
A partir d’une ossature efficace - le fidèle Bruno Schorp à la basse, Frédéric Eymard, complice privilégié, à l’alto et Frédéric Delestré à la batterie [2] -, Calmel joue la carte de l’énergie et parvient à conserver l’identité sonore qui faisait tout le charme de ses deux précédents disques. Car la singularité de sa musique repose beaucoup sur l’association des couleurs des claviers et de l’alto. C’est même une caractéristique de son travail, et ce depuis plusieurs années. Cette alliance naturelle s’exprime en toute liberté, à chaque instant, jusque dans les moments d’intimité (« Mystery Tatto Shadock »). Ce duo acoustique aux tonalités orientalisantes introduit un somptueux « Shadock Incandescent », qui laisse monter une tension fiévreuse et enivrante, soulignée par la chaleur de l’unisson de l’alto et du saxophone ténor de Christophe Panzani.
Christophe Panzani, parlons-en, lui qui était déjà venu pointer le bout de ses anches sur Empreintes et s’affirme plus que jamais comme un magnifique soliste. Rien d’étonnant sachant qu’il a une carte de visite plutôt flatteuse, notamment en tant que membre du Big Band de Carla Bley. Olivier Calmel aurait eu tort de se priver du talent de ce jeune musicien dont le lyrisme illumine Electro Couac du début à la fin, au ténor mais aussi (et surtout ?) au soprano, dont la tonalité s’accorde aussi bien aux minutes enfiévrées de « Z Trail OMT » qu’à l’introduction néo-classique du « Temps du trajet » ; cette majestueuse composition lui laisse tout le loisir de s’envoler dans un long chorus inspiré. Une démonstration magistrale et un des temps forts du disque.
Mais Olivier Calmel ne saurait renier ses origines, sa formation classique et son amour des compositeurs du début du XXe : son « Prologue en forme de prélude », ses « Résonances » ou encore « La générosité n’attend pas » en témoignent. Ici, on pose temporairement les armes rythmiques et on laisse l’imagination divaguer au gré de mélodies beaucoup plus romantiques et méditatives. On pense fugitivement à Fauré ou Debussy. C’est là tout le charme et la force communicative de l’album : jamais le mariage des influences ne semble pesant, artificiel ; fluide, la musique irradie la générosité de son compositeur et une imagination colorée, bien au-delà des étiquettes : les musiciens jouent pour le bonheur d’être ensemble, c’est l’esprit de partage qui les anime et il n’a pas fallu s’enfermer des mois en studio pour parvenir à un tel résultat. Electro Couac Sha-Docks est un disque spontané qui fait du bien, généreux et goûteux comme un fruit mûr.