Chronique

PJ5

Word

Paul Jarret (g), Maxence Ravelomanantsoa (ts), Léo Pellet (tb), Alexandre Perrot (b), Ariel Tessier (dms) + Stéphane Guillaume (clb, ss), Isabelle Sörling (voc), Benjamin Belloir (bugle), Bertrand Luzignant (bugle), Anthony Caillet (euphonium).

Label / Distribution : Such Prod / Harmonia Mundi

Le guitariste Paul Jarret nous avait séduits en 2012 avec Floor Dance, EP prometteur de PJ5 ; cette jeune formation affichait les couleurs d’un jazz de brassage où le travail de composition le disputait à l’énergie volontiers puisée à la source du rock. Elle avait été récompensée à plusieurs reprises au Concours national de La Défense Jazz Festival 2011 [1].

Cette fois, PJ5 affirme son identité, et de très belle manière, avec un album qu’on qualifiera de complet, tant par sa durée que par sa construction d’ensemble, qui laisse le champ libre au déploiement de compositions élaborées et d’un vrai raffinement. Ce second disque est intitulé Word, non sans malice : bien qu’instrumentales - y compris « Far North Suite » pour laquelle est conviée la chanteuse suédoise Isabelle Sörling - les compositions portent souvent des titres qui font souvent référence à la parole (« Talk 1 », « Talk 2 », « Stammer ») ou au contraire à son absence (« Mutisme »). Une façon de rappeler qu’au-delà des mots, cette musique est un langage, dont l’universalisme n’est plus à démontrer.

Le personnel, identique à celui du premier disque, excelle dans la création de textures chaleureuses où la combinaison du saxophone ténor de Maxence Ravelomanantsoa et du trombone de Léo Pellet instaurent à la fois un intimisme récurrent et une énergie toute en souplesse (remarquable « City Owl », par exemple, qui reçoit pour l’occasion le soutien de Stéphane Guillaume au saxophone soprano). Paul Jarret, quant à lui, n’est pas un guitar heroe : son expression, retenue, comme en éveil constant, est de celles qui captent l’attention par un phrasé aérien et des sonorités dont la diversité des timbres ne cède jamais à la tentation de l’exhibition. Pas le genre du monsieur, dont les origines, pour partie suédoises, peuvent expliquer cette sobriété aux confins du minimalisme qu’on trouve souvent chez les musiciens nordiques. A cet égard, la longue « Far North Suite » constitue une belle carte de visite, d’autant plus intéressante qu’elle se pare de couleurs supplémentaires avec le renfort de deux bugles et d’un euphonium. A l’opposé, « Give It A Name » clôt le disque en une quarantaine de secondes pendant lesquelles on entend une guitare brumeuse égrener quelques arpèges avant de s’évanouir.

La guitare parle au creux de l’oreille, imprime parfois des mouvements cycliques qui évoquent la « Discipline » de Robert Fripp ; à tout instant Jarret paraît soucieux de cohésion en refusant la facilité des longues échappées solitaires et narcissiques. Il est en cela, aussi, dans la lignée des Kurst Rosenwinkel ou Gilad Hekselman. Et si les influences revendiquées - Brad Mehldau, Mark Turner ou Ben Wendel - sont celles du jazz américain actuel, le rock occupe une place importante chez ces musiciens qui n’ont pas encore atteint la trentaine : Led Zeppelin ou Jimi Hendrix et, plus près de nous, Radiohead ou Rage Against The Machine. « Talk » ou « Peanuts » en font ici la démonstration. Mais ne l’oublions pas, Jarret est le leader, celui qui a élaboré le répertoire et ces arrangements d’une grande maturité ; il sait multiplier les climats et puiser dans la palette de son imagination avec une bonne dose d’inventivité que ses complices, parmi lesquels bien sûr la paire rythmique (Alexandre Perrot et Ariel Tessier), servent avec une conviction qui font de PJ5 un vrai groupe, compact et solidaire.

Word est un disque attachant, mais au-delà de cela c’est une confirmation, une preuve supplémentaire de la richesse existant chez cette nouvelle génération de musiciens de jazz, dont on reparlera.

par Denis Desassis // Publié le 3 mars 2014

[1Deuxième prix de Groupe, premier prix de Composition et premier prix d’Instrumentiste pour le batteur Ariel Tessier.