Chronique

Olivier Temime

The Intruder

Olivier Temime (ts, ss), Vincent Artaud (cb, gt, kb, prog, arrg), Billy Hart (ds), Cyril Atef (ds), Paco Sery (ds).

Label / Distribution : Futur Acoustic

Voilà un disque d’une fraîcheur revigorante qui vous cingle en plein visage… Quelques mois seulement après Breakfast In Babylon, disque publié en 2009 sous l’étendard de ses Volunteered Slaves, Olivier Temime remet le couvert – l’homme est un gourmand notoire, pourquoi s’en étonner ? - avec un Intruder [1] marquant l’aboutissement d’une collaboration de trois ans avec un grand monsieur, agitateur de bien des atomes depuis quelques mois, le multi-instrumentiste Vincent Artaud. Ce dernier co-signe toutes les compositions et assure les arrangements avec maestria.

Olivier Temime, que souvent on présente à tort comme un « ostrogoth ingérable », démontre ici qu’il est avant toute chose un travailleur de la musique doté d’une énergie à toute épreuve et qui trouve ici l’occasion de proposer une nouvelle facette de son talent, assez inspirée par le pop-rock anglais. Avant la prochaine qui, sûrement, nous étonnera encore ! A ce sujet, il nous pardonnera de dire que The Intruder aurait aussi bien pu être signé Temime - Artaud, tant la contribution du (contre)bassiste, ici beaucoup plus guitariste et créateur d’ambiances sonores, est déterminante. Il acceptera aussi qu’on rappelle à quel point ses dernières collaborations ont illuminé des enregistrements dont Citizen Jazz s’est fait l’écho en 2009 : outre le funky Breakfast In Babylon dont il avait assuré la supervision, on le retrouvait très impliqué dans les arrangements singuliers et envoûtants d’Around Robert Wyatt, magnifique projet de l’ONJ placé sous la direction de Daniel Yvinec ; mais Artaud le contrebassiste, qui groovait voici peu avec bonheur au sein de l’Ilium Septet de Pierre de Bethmann et son très réussi Cubique redevenait arrangeur décisif dans la coloration d’un autre OVNI du paysage musical français, l’enthousiasmant Omry de Pierrick Pédron. Créateur multicartes, passeur de génie, Vincent Artaud est donc une des figures essentielles du jazz français contemporain.

On comprend, dans ces conditions, que cette nouvelle et très fructueuse collaboration ne s’explique pas par le seul voisinage (Temime et Artaud habitent tous deux le XVIIIè arrondissement de Paris). L’un comme l’autre, ce sont des artistes du mélange et de la fusion décomplexée des styles. A ce titre, The Intruder est une réussite qui vous soulève dès l’introduction, « Purple Dream » : la guitare d’Artaud-rockeur délivre des riffs rageurs, et semble propulser le soprano d’Olivier Temime, qui s’envole comme par magie vers de hautes sphères, avant un chorus aux intonations orientalisantes absolument ébouriffant. Cette magie va opérer sans pause durant une heure, avec l’appui d’une rythmique multipliée par trois, selon les climats à inventer : celle de Cyril Atef (Bumcello, M, Julien Lourau, Yves Robert…), de Billy Hart (Jimmy Smith, Herbie Hancock, Lee Konitz, Miles Davis, Bill Carrothers…) ou Paco Sery (Sixun, Joe Zawinul…). Excusez du peu. On est ici entre gens de très bonne compagnie…

Un disque, donc, qui respire à pleins poumons, mais lorgne aussi vers des ambiances qui ne sont pas sans rappeler le bel Omry ; on sent une réelle consanguinité entre la musique de Pierrick Pédron et, par exemple, « The Macadam Turtle » ou « Spirit Of Ecstasy », quand la guitare floydienne d’Artaud vient jeter un pont élégant, presque planant, entre les univers des deux saxophonistes, qui partagent un évident sens de la mélodie.

The Intruder est décidément un disque inclassable, et c’est tant mieux. En 2002, Johnny Griffin disait de Saï, Saï, Saï, le premier enregistrement de Temime : « Voilà un jazz vraiment original ». Le compliment vaut tout autant pour cette nouvelle aventure, dont notre Aixois à crête dit : « Aujourd’hui, je m’éclate plus dans ce que je fais ». On veut bien le croire tant le bouillonnement est intense. Le magnifique tandem Temime/Artaud trouve avec The Intruder un terrain – mieux, un terreau – fertile, une source permanente d’inspiration. L’objectif que s’est donné le saxophoniste (« Sortir de la routine ») est atteint, avec une facilité apparente qui est, en réalité, l’expression la plus aboutie d’un travail quotidien, de surcroît mis en valeur par une production impeccable. Témime peut déployer en toute liberté un jeu alternant instants rageurs et envolées lyriques au service d’une « pulsion rap – salsa – jazz – rock – funk » (sic). Façon, peut-être, de dire que sa musique s’accommode assez mal des classifications usuelles.

Intruder : indispensable, insolent, inventif, intense, intelligent ! Cinq adjectifs en « in » qui résument au mieux cet intrus qu’on est heureux de voir entrer chez soi avec le punch qui le caractérise. Un peu comme un boxeur qui monte sur le ring…