Chronique

Chamber Metropolitan Trio

Tempus Fugit

Matthieu Roffé (p, comp), Damien Varaillon (b), Thomas Delor (dms).

Label / Distribution : Inouïe Distribution

Le Chamber Metropolitan Trio a beau faire montre de discrétion, on n’en reste pas moins convaincu que Matthieu Roffé, Damien Varaillon et Thomas Delor sont à l’œuvre dans un espace de création des plus séduisants qui soient, avec leur formation – née en 2012 – héritière du jazz autant que de la musique romantique, sans oublier le rôle important que joue le Japon dans cette histoire (et plus particulièrement celle du pianiste). Leur premier disque, Arkhè (2015), était à entendre comme un avertissement lancé aux amoureux du passage des frontières stylistiques. Oui, cette musique est savante, son élaboration fait l’objet d’un soin maniaque et son interprétation est placée sous le double signe de l’inventivité et d’un savoir-faire plutôt redoutable. Pour autant, on l’aborde en toute tranquillité tant ses formes se lovent dans le cadre d’une beauté formelle qui n’est jamais synonyme de mise à distance. Aucune froideur à redouter, tant s’en faut. On pourrait faire court en s’exclamant : « Mais qu’est-ce que c’est beau ! »

Allons un peu plus loin toutefois. Matthieu Roffé s’est formé au piano classique au Conservatoire de Metz, avant de bifurquer vers le jazz avec Mario Stantchev puis Emil Spanyi. On peut le trouver à la tête d’un ensemble de onze musiciens (le Systematik Endectet) aussi bien qu’en duo avec la flûtiste Yuriko Kimura. Damien Varaillon est passé de son côté par les conservatoires de Marseille et Paris, il est capable d’évoluer dans la Jazz Association de Magic Malik ou le trio du guitariste Yuval Amihai, comme avec des orchestres symphoniques. Thomas Delor, quant à lui, a beau se déclarer autodidacte, son récent The Swaggerer est une brillante carte de visite dans la mesure où ce premier album solo lui permet de faire la démonstration de toutes ses qualités, non seulement de batteur mais aussi et surtout d’illustrateur sonore. On comprend que Roffé peut compter sur une paire rythmique très attentive et riche de bien des couleurs.

Avec Tempus Fugit, le trio récidive de belle manière. C’est un sans-faute. Tout ici est en place pour que chacun·e d’entre nous puisse être embarqué·e sans réserves au cœur de ce brassage d’influences dont l’élégance n’est pas la moindre des qualités. Le titre n’est en aucun cas le reflet d’une tentation nostalgique, pas plus que les notes de pochette – toujours savantes et signées une fois de plus par Matthieu Roffé – qui sont un rappel de l’histoire de la sidérurgie. Interrogé à ce sujet, le pianiste tient à nous préciser : « Tempus Fugit est un disque dans lequel nous avons mis tout notre savoir-fer et notre intégrité de musiciens. Il ne s’agit pas d’un simple hommage à la sidérurgie lorraine (pas de place à la nostalgie), mais de savoir d’où nous venons, pour avoir une chance de tracer un chemin neuf sur lequel nous nous devons d’aller de l’avant ». C’est d’ailleurs en cela qu’on expliquera la présence de « Carolina Shout » en clôture du disque : voilà en effet une composition de James P. Johnson (toutes les autres sont de Matthieu Roffé) qui fait bande à part en fleurant bon le piano stride et qui sonne comme un autre rappel historique, en nous renvoyant aux sources du jazz, au début du XXe siècle.

Jazz et musique classique, deux ingrédients essentiels pour assouvir un appétit de voyages (y compris intérieurs). Le Japon est bien présent, une fois encore, avec « Mizaru, Kikazaru, Iwazaru » qui évoque les trois singes de la sagesse, dont les maximes sont la source du bien ; ou encore « Le pliage de Miura » du nom de l’astrophysicien qui l’a inventé. La contemplation est aussi à l’ordre du jour avec « Waldeinsamkeit » qui évoque la solitude des forêts. Et puis, bien sûr, il y a le temps qui passe, à des vitesses variables (les deux parties de « Tempus Fugit ») et les petits tracas du quotidien, aussi (« Le Désordre dans la chaussure »). Tout cela constitue la matière première et alimente la variété des tableaux présentés. Car ce qu’on retient avant tout, c’est la capacité du trio à assembler, y compris au sein d’une même composition et avec une étonnante fluidité, des variations de tempo et de climats, passant d’un registre intime hérité de la musique romantique à un idiome plus nerveux dont les improvisations proviennent de sa culture jazz. Les couleurs de cette musique sont belles et variées : à ce (grand) jeu, Damien Varaillon et Thomas Delor ne sont pas les derniers à fournir des nuances. Le premier recourt souvent à l’archet, contribuant beaucoup à la tonalité classique de l’ensemble ; le second, lui, fourmille des trouvailles sonores dont il a le secret et se glisse avec gourmandise dans le costume de l’enlumineur. Autant de prétextes à un interplay dans lequel Matthieu Roffé, à l’évidence, s’épanouit. Le personnage est réfléchi, certes, mais il n’aime rien tant que la liberté. Qu’il s’agisse de dessiner des motifs tournoyants comme ceux du « Pliage de Miura » ou d’explorer les richesses de « Mizaru, Kikazaru, Iwazaru », passant de l’intime à un jeu dont la sonorité très ample évoque celle d’un concerto.

Tempus Fugit, le temps passe vite… Sans doute les trois musiciens du Chamber Metropolitan, artistes en éveil, perçoivent-ils mieux que d’autres sa course inexorable et savent l’apprivoiser pour avancer sur leur chemin. Une chose est certaine en tout cas : les cinquante minutes de ce deuxième rendez-vous avec le trio passent elles aussi à la vitesse de l’éclair. Alors on y revient, sans la moindre hésitation.