Chronique

Pedro Soler & Gaspar Claus

Barlande

Pedro Soler : guitare flamenca, Gaspar Claus : violoncelle

Label / Distribution : InFin

Un atelier du label InFiné à la Carrière des Normandoux, près de Poitiers, un soir d’été ; le guitariste Pedro Soler est rejoint sur scène par son fils, le violoncelliste Gaspar Claus. Le premier est une star du flamenco « tendance archaïque », le second un électron libre connu de ceux — et ils sont nombreux — qui se moquent des frontières : musique d’avant-garde, improvisée ou électronique, française, japonaise ou américaine, Gaspar Claus, comme son modèle Tom Cora, réussit l’exploit d’être sur tous les fronts en n’en affichant pas moins une intégrité musicale très personnelle. Il était par exemple invité à l’édition 2011 de Jazz nomades/La Voix est libre aux Bouffes du Nord - festival dont la ligne est précisément de transgresser les catégories artistiques - avec la chanteuse Catherine Jauniaux et la circassienne Jeanne Mordoj, dont le désormais célèbre numéro d’œufs (elle fait circuler des jaunes d’œufs sur son corps) se mariait avec bonheur aux improvisations des deux musiciens.

Ici, l’acrobatie réside dans l’alliance entre deux styles que tout oppose a priori : le flamenco et l’improvisation-expérimentation libre ou avant-gardiste, comme on voudra. On aurait pu penser que ces deux univers seraient incapables de cohabiter sur la même scène ; or, ils se complètent admirablement, au contraire. Pedro Soler raconte : « Quand il s’est introduit presque comme par jeu dans ma musique, j’ai immédiatement senti que par des voies totalement différentes, nous accédions au même paysage musical. » Sans doute est-ce dû à la recherche d’une expression fondatrice et essentielle qui existe de part et d’autre, mais aussi à l’histoire que ce père et son fils (se) racontent.

C’est dans un studio new-yorkais qu’ils ont enregistré cet album produit par Bryce Dessner, lequel les accompagne également à la guitare sur le dernier morceau, « Encuentro en Brooklyn », aux côtés de l’autre musicien qui apparaît sur le disque, Sufjan Stevens, à l’harmonium. L’incursion des invités est néanmoins brève et discrète, car il s’agit surtout d’un dialogue. Soler et Claus narrent une transmission poétique qui va au-delà des styles musicaux. Si le père est clairement du côté de la mélodie et du rythme, le fils s’aventure dans la découverte en temps réel de la matière brute de l’instrument, et tire le modèle flamenco vers l’inconnu. Du chant religieux (saeta) à la danse populaire (alegría) en passant par le tango flamenco (tientos, à ne pas confondre avec le tango argentin), de nombreux styles ou chants, traversés par une infinité de sentiments et sensations, sont revisités. Chaque titre sonne presque comme la démonstration d’un défi relevé, tant du contraste naît une très grande proximité. Pour cela, ils n’hésitent pas à échanger leurs rôles : Gaspar Claus s’empare de l’archet, Pedro Soler gratte, frotte et syncope, et nous voilà repartis pour un tour. La qualité exceptionnelle non seulement de leurs jeux respectifs, mais encore de leur rencontre, fait le reste.