Chronique

Perrine Mansuy

Rainbow Shell

Perrine Mansuy (p, voc, comp), Jean-Luc Difraya (perc, voc), Rémi Decrouy (g, effets), Eric Longsworth (cello), Mathis Haug (voc).

Label / Distribution : Laborie Jazz

On avait laissé Perrine Mansuy à ses vertiges oniriques il y a plus de quatre ans maintenant : avec Vertigo Songs, son premier album chez Laborie Jazz [1], la pianiste avait séduit, tant par sa capacité à donner vie à l’idée que musique et rêves doivent coexister que par une sensibilité mélodique ouverte à de multiples influences, au cœur desquelles le jazz peut revêtir des habits volontiers rock, voire classiques. Entre temps, Perrine Mansuy a fait entendre sa « petite voix » au sein de différentes formations, dont les couleurs sont bien distinctes mais toutes parées de la même brillance. Avec Rémi Charmasson et The Wind Cries Mary, elle célèbre la brûlure hendrixienne ; dans le quartet du contrebassiste Christian Brazier, elle se fond avec l’élégance qu’on lui connaît dans les tourments aquatiques d’une Septième Vague ; et c’est sa discrétion tenace – on nous pardonnera ce quasi oxymore – qui vient enluminer le pari un peu fou que Bruno Tocanne, Bernard Santacruz et quelques camarades se sont lancé, soit un singulier Over The Hills en hommage à Carla Bley et son œuvre la plus monumentale, Escalator Over The Hill.

Perrine Mansuy revient en leader, toujours chez Laborie, avec Rainbow Shell. Elle reconduit pour l’occasion une partie de l’équipe qui animait Vertigo Songs : Jean-Luc Difraya (percussions, chant) et Rémi Decrouy (guitare et effets sonores). Ces deux-là comptent pour beaucoup - ils sont même essentiels - dans la définition de l’identité musicale des rêves de la pianiste qui, plus que jamais, semble avoir composé en contemplant un ciel étoilé. Difraya [2] pratique la suggestion rythmique plus qu’il ne frappe ; il se présente avant tout en enlumineur d’une souplesse féline. Rémi Decrouy apporte quant à lui son art du design sonore, zébrant les mélodies de riffs d’essence rock parfois planants ou laissant l’électronique perturber discrètement le biotope flottant qui se dévoile au fil des compositions. Nouveau venu dans l’aventure, le violoncelliste Eric Longsworth lève le voile sur des paysages plus classiques, aux portes d’une musique de chambre rêveuse mais exempte de toute mièvrerie. « Danse avec le vent » et « Magic Mirror » sont les illustrations parfaites de ce romantisme en action et de son mariage des couleurs instrumentales, petites bulles électroniques incluses. La voix de Marion Rampal a cédé la place à celle de Mathis Haug. Grave et rauque, elle est un peu celle d’un bourlingueur qui parle autant qu’il ne chante. Haug se faufile non sans mystère dans la peau d’un récitant, véritable bluesman (« Paying My Dues To The Blues » et son gospel festif à quatre voix) revenu d’un long voyage à la recherche de sirènes (« Fly On », magnifique composition qu’on rêverait d’entendre sur les ondes à une heure de grande écoute) et qui l’aurait mené jusqu’aux rivages d’une rivière sans retour (« The River Of No Return », reprise poignante de la chanson du film d’Otto Preminger en 1954, à l’origine interprétée par Marilyn Monroe qui partageait l’affiche avec Robert Mitchum).

Rainbow Shell est un disque tout aussi onirique que son prédécesseur, et même peut-être plus. Ses 50 minutes sont parcourues d’une spiritualité communicative et traduisent à l’évidence le besoin d’élévation personnelle de Perrine Mansuy. Une démarche de l’intime qu’elle souligne à la fois par la beauté formelle de ses compositions et par un jeu d’une sobriété devenu sa marque de fabrique. On ne trouvera ici aucune échappée débridée ni même la moindre tentation virtuose. Tout ici est comme suspendu, chacune des notes se voit accorder le temps nécessaire à sa circulation dans le flux musical, les thèmes se suivent en état de grâce, entre joie d’exister et contemplation pastorale. On imagine la surface d’une étendue d’eau que viendraient troubler ça et là le souffle d’une brise légère et une discrète vie animale. On gravit des collines, on franchit des cours d’eau. On respire.

Telle est la musique des élégances de Perrine Mansuy, styliste inspirée qui laisse libre cours à des émotions profondes dont elle nous offre le chant avec humilité. Les rendez-vous avec elle sont comptés, c’est une bonne raison de prendre le temps de savourer ce beau coquillage arc-en-ciel.

par Denis Desassis // Publié le 27 mars 2016

[1La pianiste avait enregistré auparavant deux albums en duo avec François Cordas en 2006 : Le Duo Plays Jacques Brel et Le Duo Plays Charles Aznavour, ainsi que Mandragore et Noyau de Pêche en trio un an plus tard.

[2Qui a remplacé Steve Shehan au sein du Hadouk Trio de Didier Malherbe.