La littérature fourmille d’inventaires propices à la découverte de lieux historiques ou déterminants pour l’histoire contemporaine. Ceux qui animent les écrits de Philippe Brossat ont la particularité de nous faire découvrir les villes qui ont eu une influence prédominante dans les musiques assimilées au rock.
Les précédents ouvrages de cet auteur, baroudeur invétéré, nous transportaient à Londres, Liverpool, Los Angeles et New-York. Son dernier livre, publié par les éditions Le Mot et le Reste, apparaît comme une référence fondamentale des origines musicales de Chicago, ville du jazz et du blues qui vont vite être à l’origine de ramifications musicales innovantes. L’errance d’une population brimée en provenance de la Louisiane et se rendant jusqu’aux rives du lac Michigan au début du XXème siècle est ici fort bien décrite. La violence sociétale de l’époque, les bandes de gangsters qui font la loi et la mutation constante d’une ville grouillante d’immigrés nous replongent dans ce monde chaotique américain que Luca Di Fulvio avait très bien détaillé dans son fameux roman Le gang des rêves.
Ce qui fait toute la saveur de l’ouvrage, c’est avant tout la fabuleuse créativité des studios d’enregistrements, la vie trépidante de nombreux clubs et théâtres ; les réussites de certains producteurs et les malchances qui en affectent d’autres y sont admirablement dépeintes. En véritable passionné, l’auteur a dressé dans Streets of Chicago un aperçu détaillé des différents quartiers qui ont vu l’émergence de labels dont le fameux Chess Records, et des bâtiments mythiques qui ont façonné les carrières de musicien·nes passé·es, depuis, à la postérité. Huit chapitres recensent les huit zones géographiques qui font l’histoire musicale de la cité : South Loop, The Loop, North Loop, Bronzeville - Hyde Park - South Shore, South Side, West Side, North Side - Lake View - Lincoln Park et Banlieues. Si l’envie vous prend de vous rendre sur place lors d’une de vos pérégrinations, Philippe Brossat a pris soin de rappeler quels sont les édifices historiques encore intacts de nos jours.
Des figures légendaires se succèdent tout au long des pages : Louis Armstrong, Muddy Waters, Buddy Guy, Mahalia Jackson, Stevie Wonder et la fratrie Jackson qui ont laissé une empreinte dans la cité, sans oublier l’un des grands oubliés de l’histoire, Little Walter, qui révolutionna l’approche instrumentale de l’harmonica. Les Afro-américains ne sont pas les seuls qui ont les honneurs de cet ouvrage : Benny Goodman, les membres du groupe Chicago avec Terry Kath en tête, Patti Smith ou les frères Belushi starisés font perdurer l’aura de la ville.
Un seul regret, que l’AACM, l’Association for the Advancement of Creative Musicians, créée en 1965 par le pianiste Muhal Richard Abrams, ne soit pas citée. Indissociable de la révolution culturelle de la ville de Chicago, cette coopérative a fait émerger bon nombre d’artistes locaux impliqués dans la Great Black Music, l’Art Ensemble of Chicago en premier lieu. Il ne nous reste désormais plus qu’à patienter afin de découvrir la prochain ville qui aura inspiré Philippe Brossat.