Chronique

Pauline Réage

Gentle Destruction

Anne Munka (voc), Olga Reznichenko (p), Robert Lucaciu (b), Maximilian Breu (d).

Label / Distribution : Boomslang Records

Une voix fend l’air, spontanée, et passe d’une élocution faite de sensibilité à des séquences d’improvisation imaginatives : Anne Munka resplendit. Sans faille, les dix doigts d’une pianiste envahissent le spectre sonore, les tensions succèdent aux atmosphères poétiques sans que l’aspect mélodique ne s’estompe : Olga Reznichenko s’envole. Anticipant les phases harmoniques, une contrebasse absorbe des enchaînements qui se propagent alentour, Robert Lucaciu ancre ses notes dans un canevas complexe. L’introduction de substances sophistiquées dans les tournoiements rythmiques d’une batterie interroge : Maximilian Breu fascine.

L’univers de Pauline Réage, pseudonyme de Dominique Aury, née Anne Desclos, s’inspire d’O, l’héroïne du roman qui bouleversa les codes de la société française d’après-guerre bien avant que l’ouvrage ne soit traduit dans une vingtaine de pays dans le monde. La musique du quartet se caractérise par l’extraordinaire variété de timbres vocaux déployée par Anne Munka, de l’entraînant et quasi enfantin « Happy Machine » aux climats pesants colportés dans « Selfcare ». Olga Reznichenko échappe aux catégorisations, elle n’est nullement marquée au fer rouge comme l’esclave du roman de Pauline Réage, mais elle incarne bien le symbole de la liberté créatrice. La montée en puissance qu’elle déclenche avec son intervention soliste dans « Fabulate » et la beauté de son solo dynamique qui clôt « Gentle Destruction » font d’elle une pianiste accomplie.

Toujours sur le qui-vive, Robert Lucaciu et Maximilian Breu se partagent entre un soutien efficient d’une grande rigueur et l’apport de couleurs appropriées ; l’archet chantant du contrebassiste dans « Spotless Mind » et le foisonnement de rythmes du batteur dans « Immensity » sont captivants.

La dramaturgie n’est que l’une des composantes qu’installe Anne Munka dans cet album : l’humour et la poésie y ont leur place, et l’on pense à Dagmar Krause lorsqu’elle se produisait avec Art Bears ou Slapp Happy. Les improvisations qui se régénèrent en permanence permettent au quartet de s’orienter dans des voies qui empruntent au jazz tout autant qu’aux musiques alternatives. Le bol d’air qu’apporte cette formation renvoie à une citation de l’écrivaine d’avant-garde Pauline Réage : « Le physique n’était pas tout. Les armes étaient aussi dans l’esprit ».

par Mario Borroni // Publié le 16 février 2025
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