L’avantage de la précocité, c’est qu’elle permet de fêter une carrière déjà longue alors qu’on a tout juste dépassé la cinquantaine. C’est le cas du compositeur et guitariste Pierre Bensusan, qui a enregistré son premier album Près de Paris en 1974 à l’âge de dix-sept ans. A l’occasion de ses trente-cinq ans de carrière, l’intégralité de sa discographie ressort, constituée de ses neuf disques et d’une compilation, qui peuvent être acquis séparément ou sous forme de coffret (Complete Works 1975-2010).
Un cas à part que ce musicien, français dont la notoriété est bien plus grande à l’étranger, en particulier en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, que dans son propre pays. A ses débuts, cette spécificité pouvait s’expliquer d’une part par le choix du répertoire (musique folk en général et celtique en particulier), et d’autre part par des tournées se déroulant essentiellement dans les pays anglo-saxons. Mais aujourd’hui, alors que Bensusan donne régulièrement des concerts en solo sur les cinq continents, il reste relativement méconnu en France. Espérons que la réédition de sa discographie permettra de rectifier cette curieuse situation.
Si les amateurs peuvent profiter de cette parution groupée pour compléter leur discothèque, l’album À La Carte, compilation de quinze titres, est le choix idéal pour découvrir ce musicien. On y retrouve quelques morceaux de ses débuts tels que « Dame Lombarde », « Le roi Renaud » ou « Heman Dubh », c’est-à-dire des adaptations ou mises en musique de pièces traditionnelles folk ou celtes. Ce genre, qui a révélé Bensusan et son utilisation de l’« open tuning DADGAD » dont il est à présent le plus célèbre représentant, perdra sa place prééminente dans les enregistrements au fur et à mesure de son évolution. Loin de se laisser enfermer dans un style aux frontières bien établies, le guitariste en a au contraire assimilé le langage musical afin d’exprimer à travers ses compositions un univers bien particulier, caractérisé par un enchevêtrement de styles issus du monde entier et qui s’entremêlent parfois au sein d’un même morceau. On en entendra ici une illustration avec « Agadiramadan », qui fait le grand écart entre le Maroc et l’Amérique latine.
L’objectif d’une compilation est de présenter, autant que faire se peut, les différentes facettes d’un artiste. Si quelques titres sélectionnés ici montrent un travail de groupe, cela ne doit pas masquer le fait que Pierre Bensusan se produit essentiellement seul. Ses œuvres d’une richesse harmonique et mélodique évidentes (« So Long Michael », « Santa Monica » ou encore « Wu Wei »), nécessitent pour être interprétées en solo une virtuosité qui n’est jamais gratuite, ni démonstrative. Autre aspect du travail de Bensusan, trois morceaux révèlent ici ses talents de chanteur à la diction claire et dont le phrasé brode souvent autour de la mélodie.
À La Carte, voire le coffret entier, plaira naturellement à tous les amoureux de la guitare acoustique, qui apprécieront à sa juste valeur l’impressionnante maîtrise de Bensusan. Mais bien au-delà de ce public, l’oeuvre pourra toucher tous ceux qui apprécient l’exigence mélodique et l’approche universelle de la musique.