Scènes

Rhoda Scott ou Lady commandement

Nancy Jazz Pulsations – Chronique 7 – Jeudi 18 octobre 2018, Théâtre de la Manufacture – Rhoda Scott « Lady Quartet ».


Photo © Jacky Joannès

Pour la première fois cette année à NJP, le Théâtre de la Manufacture affiche complet au point que les photographes accrédités doivent renoncer à une place assise. Il faut dire que Rhoda Scott, désormais entrée dans la légende du jazz, est annoncée avec son Lady Quartet. Des « reines libres » pour une musique gorgée de soul, de blues… et d’énergie !

Au départ, il y a un chant de Noël, « We Three Kings », dont les personnages principaux sont, comme on s’en doute, les Rois Mages. C’est beaucoup plus tard, en 1961, que le saxophoniste Roland Kirk en a décliné dans son premier album une variation – dont l’introduction est, soit dit en passant, la sœur jumelle du « All Blues » de Miles Davis – sous le titre « We Free Kings ». Et c’est plus tard encore, en 2017, que l’organiste Rhoda Scott a publié un album live avec son Lady Quartet intitulé We Free Queens. Un clin d’œil malicieux non dépourvu de sens, à l’image de celle qui, par-delà les années, semble avoir trouvé la formule de l’éternelle jeunesse. Son concert de Nancy n’aura fait que le confirmer d’ailleurs… Voici donc pour la petite (ou la grande) histoire.

Rhoda Scott © Jacky Joannès

On ne présente plus celle qui fut surnommée « The Barefoot Lady », parce qu’au-delà de son talent d’organiste (et de chanteuse), Rhoda Scott joue depuis toujours les pieds nus. C’est en 2004 qu’elle a créé une formation pas vraiment comme les autres, car composée exclusivement de musiciennes. Tel est le Lady Quartet, au sein duquel on retrouve ce soir Lisa Cat-Berro (saxophone alto), Sophie Alour (saxophone ténor) et Julie Saury (batterie).

Pour ce qui me concerne, j’en resterai là sur le sujet des femmes en musique. Bien sûr, la composition du groupe reste assez atypique dans un univers où la place des hommes demeure dominante, mais au-delà de ces questions de genre, la prestation du Lady Quartet me donne avant tout envie de saluer l’énergie, la cohésion, le lyrisme de chacune des protagonistes. Ces Reines Libres sont en action (de même que le public qui ne sera pas économe de ses applaudissements), leur répertoire parfaitement rôdé est le prétexte à des interventions solistes intenses et joyeuses à la fois. C’est le mot jubilation qui vient à l’esprit, celui de cette pulsion si particulière qu’on nomme le groove, si difficile à définir parce qu’il se ressent avant tout, physiquement. Jazz, soul, gospel, blues… c’est une musique de l’âme qui s’offre, aujourd’hui historique pour ne pas dire intemporelle. Lisa Cat-Berro [1] et Sophie Alour, bien inspirées par cette aventure, contribuent au répertoire avec des compositions personnelles ; Charles Trénet (« Que reste-t-il de nos amours ? »), Art Blakey et ses Jazz Messengers (« Moanin’ ») ou Ray Charles (« What’d I Say ? ») sont invités à la fête.

Rhoda Scott est rayonnante tant par le sourire qui ne quitte pas un seul instant son visage que par sa présence magnétique qui, il faut le souligner, n’est jamais écrasante. Elle fait une démonstration de générosité et d’altruisme et, à tout moment, on sent que, bien qu’aujourd’hui entrée dans la légende du jazz, elle est tout aussi admirative de ses musiciennes que ces dernières le sont de leur « patronne ». Elle ne triche pas…

Aux commandes de son orgue Hammond comme un capitaine le serait de son navire, Rhoda Scott est venue embarquer son public qui ne demandait pas mieux. Tout le monde est arrivé à bon port !

par Denis Desassis // Publié le 19 octobre 2018
P.-S. :

Sur scène

  • Rhoda Scott (orgue), Sophie Alour (saxophone ténor), Lisa Cat-Berro (saxophone alto), Julie Saury (batterie)

Sur la platine

[1Le concert a notamment commencé par « City Of The Rising Sun », une magnifique composition de Lisa Cat-Berro, qui figurera sur le prochain enregistrement du Lady Quartet.