Scènes

Rick Margitza en résidence totale à Lyon

25 au 27 novembre 2010 : durant trois soirs, le saxophoniste a multiplié les sets, formations, répertoires, compositions et styles à l’Amphi de l’Opéra de Lyon.


25 au 27 novembre 2010 : trois jours, trois soirées, six sets mais une seule résidence : Rick Margitza a réalisé un étonnant tour de piste à l’amphi de l’Opéra de Lyon. Trois soirs durant, en prenant le temps de jouer, de laisser jouer, le saxophoniste a construit une « résidence » plaisante, diverse et talentueuse, n’hésitant pas à convoquer auprès de lui trois formations aux gabarits variables, propres à nous entraîner dans des contrées inexplorées.

Jeudi : un trio contrasté mais très en phase, constitué de Linley Marthe à la basse débonnaire et démultipliée, Xavier Desandre-Navarre, batteur-percussionniste disert et inspiré, et du saxophoniste. Une réunion aussi chaleureuse que discrète où le public se retrouve tout de suite. L’amphi s’y prête, certes, mais entre la salle et l’artiste, le public et la musique, la communication est totale. Ce sera le cas pour les deux soirées auxquelles nous avons assisté.$

Photo © Yann Renoult
Xavier Desandre s’installe aux commandes derrière un large éventail de percussions et une façon toute personnelle de lancer des sons qui se répètent et se superposent grâce à une boîte à effets diabolique. Mais Margitza aime aussi prendre son talent à contrepied en proposant un thème sous forme de chansonnette un brin farceuse, facilement mémorisable. Cela aura de l’importance à la fin. Enfin, Linley Marthe, capable d’une basse discrète et jazzy adore, çà et là, l’entraîner dans un funk exacerbé. En deux thèmes, le ton de la soirée est donné. On en vient très vite au cœur du débat : cette alliance entre trois musiciens qui prennent le temps, servent les autres avec curiosité et retenue, et surtout, apportent au trio des contrastes étonnants : les percussions multiformes, brésiliennes et endiablées savent côtoyer la basse puissante et agile qui, tout à coup, sort de sa réserve en claquant à qui mieux mieux ; dans les interstices, le saxophone, plus méticuleux que volubile ; l’art de Margitza est de ceux qui forcent l’attention : ses interventions, légères et ciselées, ont souvent un goût d’éphémère, qui s’envolent à regret au bout de quelques mesures. Le second set change de couleur. La nuance est infime. L’interpénétration entre musiciens est plus palpable. Belle intro de Rick Margitza, d’une précision diabolique. Il y a chez ce vieux routard qui revendique ses attaches « gypsy » un côté « Nouveau roman », une méticulosité qui, par son dépouillement voulu, débouche sur une indéniable poésie.

La soirée du lendemain sera d’ailleurs consacré à son « Bohemia Project » (cf. l’album de référence sorti en 2004, dont plusieurs thèmes servent ici de fil conducteur). A Linley Marthe et Xavier Desandre s’ajoutent des compères qui ne nuisent en rien à la cohérence de l’ensemble. Deux sets menés tambour(s) battant(s), parfaits de clarté et de simplicité ; tout fonctionne en autogestion, le maître n’ayant presque rien à faire pour fixer la direction ou l’ordre des interventions. Là encore, un bonheur outrepassant codes et frontières et marqué par les interventions d’Olivier Ker-Ourio à l’harmonica et Olivier Louvel aux guitares. Comme la veille, ça commence avec Xavier Desandre qui murmure des sons étranges autant qu’il percussionne avec un enthousiasme communicatif en puisant sans cesse, dans une mallette invisible, des instruments non référencés. Par-dessus tout, ce qu’on perçoit c’est un réel plaisir de jouer. Loin de se poser au centre de la constellation, Rick Margitza ne cesse d’encourager ses comparses, se révélant souvent leur premier spectateur. De thème en thème, chacun semble s’emparer du concert et y apporter sa touche personnelle. Ainsi, l’harmonica de Ker Ourio virevolte tantôt seul, tantôt en « croisant la note » avec le saxophone. Ou bien c’est Louvel qui excelle dans tous les styles de jeu, de la rythmique appuyée au solo étonnantsde fraîcheur et d’aisance. Plus discret, Laurent Coq sait, en quelques mesures, colorer de façon très particulière le thème qui lui est confié. C’est tout l’art de ce septet où chacun se tourne sans cesse vers l’autre en donnant l’impression que tous jouent pour un et inversement. Enfin, chaussures bleues fluo, parfaitement emboîté aux percussions voisines, Jef Boudreaux bat et rebat les cartes pour mieux emmener l’ensemble.

C’est aussi ce mélange d’attention et de décontraction qui fait le succès de « Bohemia ». Sobre et discret, Rick Margitza a l’art de jouer sans avoir l’air d’y toucher mais d’aller droit au but avec une étonnante économie de moyens et d’effets pour créer une synthèse originale allant de Paul Desmond à Wayne Shorter tout en notes déliées, en légèreté et en faculté de renouveler ses interventions, de toujours précéder les attentes des auditeurs. D’où, souvent, un certain sentiment de « trop peu »…

Photo © Michel Laborde

Cette résidence a permis de révéler tout l’intérêt de la formule adoptée par l’Amphi, qui permet à un musicien de laisser libre cours à ses humeurs musicales, de sauter du coq à l’âne et de tenter de nouvelles expériences. Coïncidence ? Au cours de ces soirées, Rick Margitza a étrenné plusieurs compositions nouvelles.