Chronique

Robert Kaddouch-Gary Peacock

53rd Street

Robert Kaddouch (p), Gary Peacock (b)

Label / Distribution : ODRADEK

Etrange voyage entre jazz et enfance que nous proposent Robert Kaddouch, émérite pianiste, et Gary Peacock, monument de la contrebasse. Mais après tout, dans son appétence pour le vrai jeu, le jazz n’est-il pas un éternel retour en enfance ? C’est, semble-t-il, le pari de ce duo.

On connaît du premier l’intense travail pédagogique, en particulier dans la phénoménologie du jeune enfant : celui qui a démontré qu’un minot est « un être à part entière », doté de capacités créatives dont « l’adulte ferait bien de s’inspirer » (extraits du livret du CD, nanti d’ailleurs d’un packaging somptueux, forme et fond). De fait, les thèmes sélectionnés ici proposent des variations drôlement swinguantes sur « Jingle Bells » et « À la claire fontaine » (qui fut par ailleurs l’hymne de la Nouvelle-France…) : plaisir de l’écoute mutuelle, de cette communication par la création que Kaddouch nomme « conductibilité ».

Evidemment, le courant passe avec un Gary Peacock que l’on eût aimé entendre se lancer dans ces improvisations bluffantes dont il a le secret, a fortiori lorsque, comme ce maître de la grand-mère (on ne compte plus ses apports rythmiques et mélodiques de Dexter Gordon à Keith Jarret, en passant par Paul Bley…), ce n’est plus un arbre que l’on fait résonner à travers son instrument mais bel et bien une forêt entière ! Le jazz est là de façon explicite via des propositions de standards interprétés avec force démarquages harmoniques captant l’attention complice de l’auditeur (à la manière d’un Ahmad Jamal, dont Kaddoush avouera qu’il fut déterminant dans son approche de l’interprétation et de l’improvisation), jusqu’à un « Besame Mucho » dont les poncifs latins sont très justement évités, et c’est heureux.

Quant aux sélections issues du folklore yiddish, comme cet émouvant « Ani Pourim », elles s’intègrent d’autant plus dans le répertoire abordé qu’elles font finalement partie du patrimoine jazzistique, si l’on en croit le sociologue (et pianiste de jazz) américain Howard S. Becker dans son essai « Qu’est-ce qu’on joue maintenant ? Le répertoire de jazz en action » [1]. Au final, un joli essai qui abolit les frontières de l’âge, voire même des âges du jazz !

par Laurent Dussutour // Publié le 12 juin 2016

[1La Découverte, 2011, avec Robert R. Faulkner