Chronique

Naïssam Jalal & Rhythms of Resistance

Almat Wala Almazala

Naïssam Jalal (fl, voc, nay), Mehdi Chaib (saxes, perc), Karsten Hochapfel (g,cello), Matyas Szandai (b), Arnaud Dolmen (dm), Francesco Pastacaldi (dm)

Label / Distribution : Brouhaha/L’Autre Distribution

Comment écouter le second album de Naïssam Jalal & Rhythms of Resistance alors qu’Alep se meurt ?
Les propositions de la flûtiste d’origine syrienne entrent plus que jamais en résonance avec les revendications de dignité des peuples du Proche-Orient en tendant vers l’Universel. Il va de soi que l’on ne peut passer outre l’extrême engagement d’une artiste contre la barbarie, en faveur de l’aspiration des femmes et des hommes de ce bout de planète à la Paix et à la Justice. Pour autant, on ne saurait ignorer la force musicale de cet opus.
Car il s’agit véritablement d’un recueil de poèmes musicaux à écouter avec son cœur et son esprit. Le son de Naïssam Jalal à la flûte traversière se fait tantôt rageur, tantôt éthéré, reflet certes du désarroi de l’artiste, mais aussi preuve de son métier de jazzwoman, compréhension intime des paradoxes des notes bleues, encore plus lorsqu’elle joue du nay, cette flûte en roseau d’origine immémoriale, qu’elle sublime en souffle universel. Parfois pastorale, dans les notes tenues, parfois urbaine, dans les grappes de notes furieuses, elle manie le chaud et le froid dans une sarabande délicieuse et tragique, provoquant l’oxymore notamment sur le poignant Alep, superbe solo touchant.
Elle a su s’entourer de musiciens d’exception pour composer ce qui s’apparenterait presque à une suite, tant la cohérence de l’ensemble est magnifique. La diversité des registres rythmiques et harmoniques est aussi au programme, passant de la palette éthiopienne à la transe orientale sans fausse déclinaison world  : la maîtrise des langages proposés par les instrumentistes est confondante de vérité, entre colère et douceur !
En particulier, les deux batteurs qui se partagent les plages du CD, loin d’être interchangeables, diffusent des couleurs absolument expérimentales propices aux interventions les plus folles, tandis que le guitariste/violoncelliste fournit ostinati, délicats arpèges et accords mordants sans aucune rupture d’intention. Et lorsque Mehdi Chaib se lance dans un solo nerveux au saxophone, ou dans un voicing tellurique, on comprend que, même si la flûtiste qui marche sur les épaules de Dolphy signe toutes les compositions, elle n’en est pas moins consciente de la force de son collectif. La bande-son des communes libertaires du Rojava. Impressionnant !