Portrait

Roberto Magris fait du neuf avec du vieux

Le pianiste de Trieste revisite des morceaux-clés qui ont jalonné son parcours jazzistique.


Roberto Magris @ Hans-Joachim Maquet

L’année 2006 marque un virage pour Roberto Magris. Séduit par son album Check-In (Soul Note), l’impresario américain Paul Collins l’invite à Los Angeles pour jouer quelques concerts au Catalina Jazz Club et à la Jazz Bakery, une opportunité de se mesurer à des pointures telles que le légendaire contrebassiste Art Davis.

Ce séjour marque le début d’une collaboration qui se poursuit fructueusement à ce jour. « Outre un homme exceptionnel sur le plan musical et humain, j’ai trouvé un pianiste capable de transformer mes concepts en perles musicales », déclare Collins.

Roberto Magris @ J. Lockett

Depuis, les projets de l’Italien incluent souvent des musiciens américains et sont produits par le label JMood fondé par Collins. Le dernier en date, Shuffling Ivories, ne fait pas exception et place Magris dans un contexte inédit, en duo avec un autre contrebassiste, Eric Hochberg, qui émane de la scène de Chicago. Les deux hommes se sont rencontrés par l’intermédiaire du saxophoniste Mark Colby, un musicien sous-estimé qui nous a malheureusement quittés l’an dernier.

« L’album est intitulé Shuffling Ivories en référence à la comédie musicale Shuffling Along, car le projet était initialement conçu comme un hommage à Eubie Blake, explique Magris. Après mûre réflexion, nous avons décidé d’inclure des musiciens afro-américains qui m’ont marqué, de Blake à Andrew Hill. » Le pianiste saisit cette opportunité pour mettre en exergue des musiciens oubliés à l’instar du pianiste Billy Gault qui n’a à ce jour enregistré qu’un seul album, When Destiny Calls (SteepleChase), sorti en 1975 et que Magris s’était procuré alors qu’il n’était qu’un adolescent. On croise également Trudy Pitts dont le « Anysha » avait été repris par Roland Kirk sur Other Folks’ Music (Atlantic). Le pianiste a également écrit trois compositions pour l’occasion. Le trépidant « Clef Club Jump » témoigne en particulier d’un pianiste avec lequel il faut compter. En outre, ce morceau montre qu’il n’est pas allergique à la dissonance dont il fait une utilisation intelligente et habile tout comme sur « I’ve Found a New Baby », la célèbre chanson de Jack Palmer et Spencer Williams que Charlie Christian ou Boris Vian ont aidée à populariser.

Le duo n’est pas l’exercice le plus commun pour Magris. « Il est impératif de se concentrer sur chaque petit détail, chaque note, y compris l’amplitude et la dynamique, explique-t-il. Lorsque l’atmosphère devient intimiste, on se sent nu devant un large éventail de possibilités harmoniques et rythmiques. » À l’écoute de l’album, il est clair que les deux musiciens partagent une même sensibilité et sont en accord parfait. Décrivant son collaborateur du jour, le pianiste souligne qu’« il sait swinguer, faire preuve de poésie et démontrer une large gamme d’expressions ». « Je peux ressentir son humanité dans son jeu, ce qui est ce que je recherche toujours chez un autre musicien », ajoute-t-il.

Actif sur deux continents, les comparaisons entre musiciens américains et européens semblent inévitables, mais Magris préfère les éviter. « Au final, nous sommes des musiciens de jazz qui jouent ensemble une musique que nous aimons et qui nous fédère, dit-il. C’est davantage une question d’humanité et de personnalité. » Pour étayer sa pensée, il donne pour exemple le partenariat entre Joe Zawinul et Wayne Shorter.

La sortie du prochain album de Magris est déjà prévue pour 2022. Match Point a été enregistré à Miami en 2018 avec des musiciens de la scène locale, en tête desquels le vibraphoniste et percussionniste Alfredo Chacón. Autant dire que l’album sera teinté d’une couleur latine.