Chronique

Sidony Box

Rules

Manu Adnot (g), Elie Dalibert (sax), Arthur Narcy (dms).

Label / Distribution : Ex-Tension

Faites valser les étiquettes et accrochez-vous aux rideaux : les Nantais de Sidony Box sont de retour avec un troisième album qui décoiffe ! Rien de tel, pour tester leur cure d’oxygène, que de se coller les oreilles au brûlot de « Rules », une composition-cri qui ouvre ce nouvel disque du trio et montre illico que sur le vu-mètre du jazz, l’aiguille frémit plutôt du côté de John Zorn, option Pain Killer, ou de l’Electric Epic de Guillaume Perret que des « Oignons » de Sidney Béchet. Amis de la tranquillité et des espaces propices au recueillement, passez votre chemin ou respirez un grand coup avant de plonger : en lisant ces Rules édictées avec aplomb, vous serez conviés à une visite chahutée de la salle des Urgences d’un imaginaire tourmenté. Il y a dans cet album tonique un petit côté dévastateur qui bouscule et fait un bien fou.

Publié sur le label Ex-Tension de Stella et Francis Linon [1], Rules se veut une nouvelle page dans l’histoire du groupe, après deux disques coup sur coup en 2011 [i], des récompenses et un bon paquet de concerts depuis sa création en 2009. Certains parlent d’un power jazz trio, ce qui, convenons-en, ne signifie pas grand-chose mis à part qu’on est en présence de musiciens décidés à faire entendre haut et fort leur voix (voie) singulière. Par-dessus tout, le parrainage exigeant du binôme Linon donne une indication précieuse sur le grain de folie qui doit hanter les explorations de Manu Adnot (guitare), Elie Dalibert (saxophone) et Arthur Narcy (batterie), et sur l’incandescence de la matière sonore qu’ils modèlent avec acharnement. En réalité, il faudrait plutôt parler d’un trinôme puisque Rules se présente sous la forme d’un CD/DVD dont la partie vidéo a été réalisée par un certain Kramus Deluxe, alias Marcus Linon, fils des deux susnommés. La pochette, quant à elle, montre les musiciens pieds et instruments dans l’eau, prêts à défier les éléments : ils tournent crânement le dos à un mer peu avenante qu’ils ne semblent pas redouter pour autant.

Rules se présente comme une suite haletante et rugueuse de séquences volontiers sombres dont les climats successifs n’incitent pas à la sérénité. Plus radical que ses deux prédécesseurs - prometteurs - il n’offre pas un confort douillet en retour de l’attention qu’on lui accorde, pas d’invitation à la rêverie ni à la contemplation béate. Et surtout, pas question de faire joli, l’humeur de ces messieurs n’est pas aux caresses. Leur entreprise de séduction passe plutôt par une recherche de l’instabilité pensée comme un moyen de véhiculer la force de leur musique, dont les apaisements réguliers sont signe d’introspection plus que de joie. Et, paradoxalement, de ce dessin ombrageux surgit comme un éblouissement, amplifié par la variation des éclairages au sein de ces neuf compositions. « Rules », on l’a déjà dit, déboule avec son jazz « punkoïde » un peu hystérique, toutes griffes dehors ; d’abord apaisée, la guitare de « Girafe » dessine des motifs hypnotiques et métalliques, préambules à une longue montée en tension inquiète ; « Nocturnum » distille une ballade liquide aux arpèges nocturnes ; « Dark Wizard » s’affranchit de la mélodie pour jouer la carte d’une saturation de riffs « crimsoniens » sous les cris du saxophone et du déferlement de la batterie ; « Electric Love » fait presque figure d’intrus avec une mélodie parenthèse chantante, lointaine cousine d’« Every Breath You Take » (The Police) ; le trio revient à l’exploration pour (dé)construire une énigmatique « Salsa » et creuser encore son sillon ; l’inquiétude règne aussi sur le ciel de « Gotham », dans la réverbération de sombres accords de guitare avant une lente expiration finale en forme d’agonie ; avides de contrastes, les trois lascars de Sidony… boxent une mélodie minimaliste aux accents rock sur « Block Party » ; conclusion plus méditative, le calme relatif d’« Ambre Song » évoque quant à lui les espaces glacés où pourrait évoluer un Jan Garbarek.

Le DVD, intitulé No Rules, présente le trio lors d’une séance de travail / répétition : « Electric Love », « Bloc Party » et « Ambre Song » y sont complétés par… « No Rules », dont les trois parties explicitent les explorations du trio et son univers aux confins du jazz et d’un rock bruitiste qui n’est pas sans évoquer les recherches de King Crimson, époque Larks’ Tong In Aspic ou Starless. Voir pour mieux appréhender la matière en constant modelage…

On l’aura compris, Rules n’est pas une promenade de santé, un petit jogging du dimanche matin pour oreilles avachies par de longues heures de somnambulisme médiatico-télévisuel. C’en est même l’antithèse stimulante : une proposition audacieuse qui retient immédiatement l’attention par sa singularité énervée, son expression urgente et curieuse dont la forme recèle assez d’énergie pour qu’on ait envie d’y replonger autant que nécessaire. Ce trio soudé au fer rouge assène ses atouts dans une formule guitare, saxophone, batterie tendue comme un arc, au service d’un jazz métal abrasif et ouvert. On devine que les prochains concerts tiendront de la belle déferlante.

par Denis Desassis // Publié le 25 février 2013

[1Ce dernier, à peine dissimulé derrière le pseudonyme de Venux Deluxe, qui renvoie à la fois aux heures débridées de Daevid Allen sur sa planète Gong et aux imprécations de Magma, est aux manettes.

[iSidony Box (Yolk – janvier 2011) et Pink Paradise (Naïve – mai 2011).