Scènes

Les rêves aquatiques d’Hugo Diaz et Samy Thiébault

Nancy Jazz Pulsations 2024 # Chapitre IX - Vendredi 18 octobre, Théâtre de la Manufacture : Hugo Diaz Quartet / Samy Thiébault.


Samy Thiébault « In Waves » © Jacky Joannès

Allez savoir si c’est le hasard qui a placé cette soirée sous le signe de l’eau. Entre les Confluences du quartet d’Hugo Diaz et les visions océaniques de Samy Thiébault, le public de Nancy Jazz Pulsations n’aura trouvé aucune raison d’avoir du vague à l’âme. Bien au contraire, il a pu ressentir… l’âme des vagues pour mieux rêver en musique de rivières ou d’océans et se laisser emporter par leurs courants.

On retrouve avec plaisir le quartet du jeune saxophoniste Hugo Diaz, présent lors de l’édition 2023 de NJP dans le cadre de ses apéros jazz. Le voici qui accède aujourd’hui au « in » du festival, montant ainsi d’un cran. C’est mérité ! Cette formation récompensée à plusieurs reprises [1] avait retenu toute notre attention en raison d’une approche sous influences multiples englobant jazz, musique impressionniste du XXe siècle et pop music. Principal compositeur du répertoire, le saxophoniste (soprano exclusivement) et ses partenaires : Alexandre Cahen (piano), Vladimir Torres (contrebasse) et Louis Cahen (batterie) ont confirmé les qualités qu’on avait pu repérer chez eux dans leur disque très abouti, pas loin d’un concept album, dont le fil rouge est celui de l’eau : Confluences (L’Horizon Violet, 2024). Des confluences qu’il faut comprendre aussi, on le devine, comme celles des différents courants musicaux habitant la musique du groupe. Sur la scène du Théâtre de la Manufacture, le quartet peut dérouler son scénario onirique et exprimer au mieux le lyrisme d’un répertoire qui trouve sa source (quoi de plus normal après tout ?) dans les différents thèmes du disque aux titres évocateurs : la suite « Confluences » en deux parties, « Aller-retour aux sources », « Sonar », « Le choral de l’omble » ou encore « Electrolyse ». L’écriture de chacune des compositions est finement ciselée, la question de l’eau qui traverse la musique de part en part lui conférant une fluidité et une douceur aux accents romantiques, voire nostalgiques. On observe Hugo Diaz modulant avec discrétion le son de son instrument au moyen de quelques effets dont il sait ne pas abuser. Le groupe est uni, ayant visiblement gagné en maturité et assurance depuis son dernier passage (une expérience acquise au fil d’une série assez importante de concerts au cours de l’année qui s’est écoulée). Et si le public se montre très attentif, sous le charme de ce chant de l’eau, il ne manque pas de lui réserver un accueil très chaleureux en fin de concert. On attend désormais la suite de cette belle histoire !

Hugo Diaz Quartet © Jacky Joannès

Samy Thiébault connaît bien le Théâtre de la Manufacture. Il s’y était produit une première fois au mois de mars 2016, dans le cadre du regretté Manu Jazz Club, histoire de célébrer la musique du groupe The Doors. On l’y avait retrouvé il y a six ans presque jour pour jour à l’affiche de Nancy Jazz Pulsations. À cette époque, le saxophoniste était venu faire le récit de ses Caribbean Stories (qu’il avait racontées quelques mois plus tard au Marly Jazz Festival). Musicien voyageur et humaniste, Samy Thiébault veut concilier ses passions musicales (Camille Saint-Saëns aussi bien que John Coltrane) et sa vision du monde où « rien ne se passe sans altérité ». Né en Côte d’Ivoire d’un père français et d’une mère marocaine, ayant grandi en France sur la côte Atlantique, Samy Thiébault est un fou des mers et des océans. Il les a parcourus tout en surfant sur leurs vagues, pour élaborer patiemment, recueillant sons et voix, ce qui deviendra le disque In Waves (Gaya Music, 2024), au cœur du concert de ce soir.

Samy Thiébault © Jacky Joannès

Ils sont cinq sur scène, dans une formation, légèrement différente de celle de l’album. Si Marine Thibault (flûtes, claviers, séquenceurs), Leonardo Montana (piano) et Arnaud Dolmen (batterie) sont bien présents, on observe que Samuel F’hima a pris en revanche le poste de Damien Varaillon à la contrebasse. Et tout de suite, la fête commence, tout le groupe chante et semble porté par cette grande vague qui inspire une musique nourrie de nombreuses histoires et rencontres : celle d’un joueur de khên (un orgue à bouche traditionnel) du Laos, du chanteur François Ladrezeau et du Ka de Guadeloupe ou encore d’enfants des Îles Fidji qui chantent en pilant une racine appelée kava. Le public est invité à partir en voyage à bord de l’embarcation de Samy Thiébault, sous la protection de l’océan, jusque « Au bout du vent » (titre d’une composition inspirée par le livre La horde du contrevent d’Alain Damasio). Le saxophoniste est disert, prenant le temps d’expliquer sa démarche et l’histoire de son disque. Il peut avoir le sourire, non seulement parce que le public répond à ses appels, mais aussi parce que sa garde musicale est de haute volée. Arnaud Dolmen, virevoltant, est un spectacle polyphonique à lui seul, Marine Thibault jongle entre flûtes et claviers, Leonardo Montana déploie un jeu d’une grande ampleur, tout en souplesse et tension. Samy Thiébault nous rappelle au passage qu’il est un saxophoniste (et aussi flûtiste) inspiré, prenant toute sa part de chorus fiévreux – qui sont d’autres voyages intérieurs – aux accents délibérément coltraniens. Succès assuré, rappel exigé ! Le groupe revient pour « La chanson d’Arnaud », une ballade rêveuse qui vient apaiser une salle tombée sous le charme de cette odyssée musicale.