Scènes

Sophia Domancich Pentacle au Triton

Le 23 juin 2007 au Triton (Les Lilas), un quintet majuscule qui puise dans la tradition les sources de sa vitalité.


S. Domancich © H. Collon/Vues sur Scènes

On avait déjà vu Pentacle [1] à la Cité de la Musique en 2003, lors de la parution du premier disque chez Sketch. Très belle musique, mais salle peu réceptive, sans doute trop grande. Il s’agissait en plus d’une première partie. La sensation d’être face à un joyau dans un écrin disproportionné avait un peu gâché le plaisir, pourtant réel.

Quatre ans après, le cadre est très différent. Sophia Domancich est chez elle au Triton. La salle des Lilas - lieu à la programmation axée sur le jazz et les musiques progressives, un peu comme elle donc - l’accueille cette année dans le cadre d’une « Quarte Blanche », mais elle en est une fidèle habituée. De plus, en étant seul à l’affiche ce soir, Pentacle a pu parfaitement construire sa prestation. Deux sets, sept morceaux et un rappel reprenant le thème inaugural de la soirée. Idéal d’équilibre et d’élégance. Le premier set organisé comme en miroir, débute par « Triana Moods », titre du récent deuxième disque du groupe, et s’achève sur « En el barrio de Triana », en référence commune au quartier sévillan. Entre ces deux escapades andalouses, « Vestiges », morceau tiré du premier disque.

Le deuxième set s’ouvre sur le magnifique « Creole Blues » de Duke Ellington et se termine par une déchirante « Lonely Woman » d’Ornette Coleman. Entre les deux standards, deux compositions de Sophia Domancich : le majestueux « Funerals » [2] et l’explosif « Monkey Business ». Un sens de l’architecture qui donne à l’ensemble un caractère d’oeuvre en tant que telle, et non de succession de morceaux. D’autant plus qu’on y retrouve toujours, sur les standards comme dans les compositions, un goût du jeu collectif irrigué de références au langage jazz de la grande époque (années 40 à 60). On pense souvent à Mingus [3] et à son jazz workshop flamboyant. Les ambiances andalouses du premier set évoquent le Liberation Music Orchestra de Charlie Haden. Il y a du Carla Bley en Sophia Domancich. Au piano, elle agrémente son jeu d’accords soul, blues ou churchy, comme baignés par les eaux du Mississippi. Une dette envers Ellington, un goût pour les libertés des sixties.

Simon Goubert © H. Collon/Vues sur Scènes

Jean-Luc Cappozzo à la trompette et au bugle et Michel Marre à l’euphonium sonnent à deux comme un magnifique ensemble de cuivres, à la palette expressive particulièrement large. La Méditerranée n’est jamais loin, la part ludique d’un certain free non plus. De vrais coloristes, solaires comme une toile de Picasso. Simon Goubert, à la batterie, a toujours le jeu juste en fonction des ambiances. Un air de fanfare par-ci, joyeuse - à l’espagnole -, majestueuse - à la néo-orléanaise -, un swing attachant par-là, de la tradition aux explosions libertaires.

Michel Marre © H. Collon/Vues sur Scènes

Et puis, il y a Claude Tchamitchian à la contrebasse. Toujours aussi formidable. Il y a chez lui un mélange parfait de joie, de colère, d’élans furieusement free et d’attachement aux couleurs de son instrument. Son jeu à l’archet sur la version en trio avec Sophia Domancich et Michel Marre de « Creole Blues » était à pleurer de bonheur et de beauté.

J.-L. Cappozzo/Cl. Tchamitchian © H. Collon/Vues sur Scènes

Néanmoins, Pentacle ne se résume pas à une association de solistes. C’est bien un groupe à l’oeuvre maîtrisée, cohérente, collective. Une des plus belles expressions du jazz à l’heure actuelle en France. Un héritage bien vivant.

par Damien Rupied // Publié le 3 septembre 2007

[1qui s’est par ailleurs produit dans le cadre de Banlieues Bleues, entre autres, au fil de ses dix années d’existence, et récemment au New Morning à Paris - avec exceptionnellement Jean-Jacques Avenel à la contrebasse

[2Sophia Domancich Trio, Funerals, [Gimini, 19991

[3et son Tijuana Moods !