Scènes

Sons d’hiver 2008 [1]

Où les combinaisons oniriques de Pool Players côtoient la puissance épileptique de Fieldwork.


Mardi 5 février à l’Espace Jean Vilar d’Arcueil, dans le cadre du festival Sons d’hiver, les combinaisons oniriques de Pool Players côtoyaient la puissance épileptique de Fieldwork.

Soit quatre aventuriers des musiques improvisées européennes, curieux d’électronique comme des sons de la nature : un pianiste français nourri de composition contemporaine, un trompettiste norvégien baigné des chants de l’orient mystique, un batteur danois à la douceur caressante et un anglo-catalan curieux de la poésie des machines.

Soit Benoît Delbecq, Arve Henriksen, Lars Juul et Steve Argüelles : loin du « all-star » de producteur, un groupe qui fait sens dans nos têtes bien avant que ses membres aient échangé la moindre note.

La musique tissée par Pool Players est faite de fils invisibles, de souffles ténus et de frappes effleurées, d’effets délicats et d’énergies retenues. Lars Juul ne se sert pratiquement que de ses balais, faisant sonner ses peaux de manière sourde. Benoît Delbecq déploie un langage mélodique minimaliste, liquide et délié, très vocal. Arve Henriksen chante à travers sa trompette et évoque quelque dévot soufi perdu dans le Grand Nord. Steve Argüelles insère les sons de la technologie dans cet hymne à la beauté organique de la nature.

Les combinaisons sonores sont changeantes, allant des conversations d’individualités distinctes à l’animation d’un organisme vivant autonome. La douceur déployée n’empêche donc pas l’emballement magique qui semble parfois s’emparer de la musique, comme si elle se jouait des musiciens, qu’elle dictait sa volonté à travers leurs corps et leurs âmes. Ainsi du chant d’Arve Henriksen, qui laisse un instant sa trompette de côté, comme possédé par l’esprit errant d’un chanteur qawwâl. Ainsi des montées rythmiques combinées du piano, de la batterie et des machines qui résonnent du lyrisme des éléments déchaînés.

Benoit Delbecq, Steve Argüelles, Arve Henriksen, Lars Juul © Michel Laborde/Vues sur Scènes

Soit trois New-Yorkais abreuvés des sons de leur ville. Densité de la circulation automobile, diversité des foules parcourant les rues rectilignes, urgence des sirènes retentissant à toute heure, néons agressifs vantant les mérites de tout et de rien. Vijay Iyer, piano obsessionnel, répète la même note à l’envi avant de laisser déferler des phrases imprégnées de conceptions architecturales et mathématiques faisant entrevoir la beauté des structures rigides. Steve Lehman, saxophone alto atmosphérique, zèbre le discours du trio de phrases lancinantes gagnant progressivement en nervosité et en vitesse, jusqu’à tendre le corps qui prolonge l’instrument d’inquiétantes secousses épileptiques. Tyshawn Sorey, batterie polyrythmique, maîtrise une énergie urbaine nourrie de beats hip-hop, se laisse déborder par elle, la contient et l’enrichit pour démultiplier les possibles du trio.

Après deux morceaux pour se chauffer, Fieldwork déploie ses combinaisons tortueuses, tout en zig-zags imprévisibles, breaks soudains et obsessions éternelles, et gagne progressivement en impact tout au long du concert. La fin affiche une urgence rythmique extrêmement nerveuse, parcourue d’éclairs lumineux, qui combine de manière inédite la rigidité des structures et le feeling de l’improvisation.

La fragilité de Pool Players face à l’hyper-structuration de Fieldwork… ces contrastes apparents se rejoignent dans une science des rythmes organique héritée d’un même professeur, Steve Coleman. Ou comment une programmation intelligente permet de s’immiscer l’espace d’une soirée dans le meilleur de la créativité contemporaine du jazz.