Scènes

Ombres et lumières

Le projet « Sade Songs » d’Archimusic en version théâtrale.


Jean-Rémy Guédon aime à décrire le Marquis de Sade, auquel est consacrée sa création la plus récente, comme le « soleil noir du Siècle des Lumières ». L’adaptation scénique de son projet, autour d’un spectacle d’ombres chinoises, semblait le prolongement naturel de sa vision du personnage.

L’Espace culturel André Malraux du Kremlin-Bicêtre accueillait pour quatre soirées la version scénique de « Sade Songs » fin septembre. Nous avons assisté à la dernière représentation.

On connaissait déjà ce projet par le disque et la « version concert ». C’est donc avec une certaine curiosité qu’on attendait le spectacle « complet ».

La musique et le texte sont d’une extrême richesse. Il y avait un risque évident à vouloir " en rajouter » avec une mise en scène théâtrale. Pourtant, l’écueil est largement évité par une approche assez légère. L’aspect visuel est même un prolongement idéal du texte et de la musique, qui en renforce le sens et la déraison.

Le décor dû à l’illustrateur Stéphane Blanquet, qui signait déjà la pochette du disque, est un théâtre d’ombres chinoises comprenant des arbres étranges dont les branches se terminent par des têtes, des jambes, des mains ou des sexes. Des bêtes plus ou moins informes, curieux oiseaux-insectes, se baladent dans ce décor. Au milieu de cette inquiétante forêt, Elise Caron, divine marquise coiffée d’une imposante perruque à mi-chemin des Lumières et de Tim Burton, se meut en s’adonnant à quelques plaisirs plus ou moins explicites - tout en chantant les textes de Sade. Les musiciens de l’ensemble Archimusic sont disposés des deux côtés de la scène : le quatuor à vent classique à gauche, et le quartet de jazz à droite. Ils sont eux aussi intégrés au décor par de singuliers accoutrements ornés de becs effrayants.

Archimusic © H. Collon/Vues sur Scènes

La mise en scène souligne parfois le propos du marquis, mais le plus souvent elle joue sur le texte pour dévoiler de petites histoires parallèles, pas trop élaborées pour ne pas gêner l’attention portée à la prose de Sade. C’est astucieux de la part du metteur en scène, Jean Lambert-Wild, qui a trouvé le moyen de rester au service de la musique sans monter un « théâtre musical » où seul le premier terme compterait.

Les textes sont essentiellement extraits des oeuvres philosophiques de Sade, avec à trois reprises une sorte d’entracte tiré des « Supplices », pendant lequel Elise Caron se retrouve dans un lit - lieu de plaisir ou de mort ? Par rapport au disque, il y a quelques textes en plus et l’ordre en est un peu chamboulé pour des questions de mise en scène. Quant à la musique, elle est comme toujours avec Jean-Rémy Guédon d’une grande beauté, alliant à merveille les timbres des vents classiques et un aspect cabaret jazz un peu « weimarien », tout en ménageant quelques espaces à l’improvisation dans cette trame très écrite.

En bref, un très joli spectacle qui sera désormais donné à la comédie de Caen en... 2008 !