Scènes

Jazzycolors (2) : 18, 22-23 nov. 2006

Emiko Minakuchi, Joel Miller et le trio Koch-Schütz-Studer étaient cette année au programme du festival des centres culturels étrangers de Paris


Etalé sur deux semaines avec plusieurs concerts par soir, le festival Jazzycolors organisé par les centres culturels étrangers de Paris permettait en ce mois de novembre d’assister aux prestations de nombreux musiciens dont l’anonymat plus ou moins relatif en France n’est en rien justifié. Du Japon à la Suisse en passant par le Canada, voici quelques échos de concerts auxquels Citizen Jazz a pu assister.

  • Emiko Minakuchi Trio
    Centre Culturel suédois
    samedi 18 novembre

Cette jeune pianiste japonaise vit depuis quelques années en France. Elle n’est donc pas tout à fait une inconnue, l’occasion ayant déjà été donnée d’apprécier son jeu fluide et poétique en club ou lors de festivals. Nourrie de musique classique depuis le plus jeune âge - elle a commencé l’étude du piano à quatre ans - elle décide de quitter son pays pour l’Hexagone, après avoir assisté à Tokyo à un concert de Michel Petrucciani qui lui donne le goût de l’improvisation et de la France. Après quelques années de maturation, entre héritage du maître et développement de sa propre personnalité musicale, elle est aujourd’hui à la tête d’un trio piano-contrebasse-batterie au bel équilibre.

Accompagnée par le batteur Francesco Pastacaldi et le contrebassiste Guido Zorn (aperçu au sein du quartet Le Monde de Kota notamment), elle se distingue de prime abord par son sens de la composition. La plupart des morceaux dégagent spontanéité, fraîcheur et enthousiasme mélodique. Les climats évoqués ont beau être changeants d’une pièce à l’autre - d’une tendre chanson mélancolique à une joyeuse tornade rythmique - on retrouve toujours en filigrane son attachement à un discours patiemment construit, avec en son centre la mélodie reine. Le double héritage de Petrucciani et de la composition romantique se fait ici entendre. Son style sur l’instrument reste assez épuré, sans effet rythmique exubérant, puisque l’essentiel repose sur l’émotion de l’écriture en elle-même. Peut-être une attitude « zen » qui lui vient de sa culture d’origine ?

Dans ce contexte, le batteur joue le plus souvent à un faible niveau sonore, préférant la caresse des balais ou le léger cliquetis du bois des baguettes sur le cadre des toms à la débauche sonore de la grosse caisse. Pastacaldi est d’ailleurs parfait dans ce rôle de surligneur. Guido Zorn, plus récent dans le trio, développe un jeu plus personnel, avec des incursions solitaires plus nombreuses. Situé au centre de la scène, avec le batteur à sa gauche et Emiko Minakuchi à sa droite, il introduit une dose de lyrisme boisé, surtout dans ses passages à l’archet, qui accentue la composante romantique de la musique du trio.

Ce dernier interprète essentiellement des compositions de la pianiste, où pointent parfois de légères réminiscences japonisantes qui relèvent plus de l’accentuation que d’une artificielle volonté fusionnelle. Comme si elle transposait dans son jeu l’accent qu’elle conserve lorsqu’elle s’exprime en français entre les morceaux. Au final, le public, fort nombreux pour la taille toute relative de la salle, a été véritablement conquis, au point de rappeler trois fois les musiciens.

  • Joel Miller Sextet
    Institut Finlandais
    mercredi 22 novembre

A la tête d’un groupe canadien « mixte » (comprendre mélangeant anglophones et francophones), le saxophoniste montréalais Joel Miller a développé lors de son concert certaines mélodies de son plus récent disque, Mandala, enregistré en compagnie du guitariste new-yorkais Kurt Rosenwinkel. Si l’Américain n’était pas présent pour cette tournée, la composition de l’ensemble réuni pour l’occasion permettait d’apprécier la force quasi pop de l’écriture de Miller. Ainsi, dès la première écoute, un nombre conséquent de morceaux paraissent familiers, avec des ritournelles qui s’inscrustent instantanément dans la mémoire. A mi-chemin d’une esthétique new-yorkaise et d’éléments qu’on a coutume de retrouver dans les musiques du nord de l’Europe, le Canadien s’inspire aussi bien de la tradition du jazz que de la folk-music, des climats évanescents inspirés par les grands espaces enneigés que d’une pop sophistiquée dont Björk pourrait être l’emblème.

S’il se distingue plus comme compositeur que comme instrumentiste, Miller a su s’entourer de remarquables solistes, à commencer par le trompettiste Aron Doyle et le saxophoniste Bruno Lamarche (également à la clarinette), dont les solos donnent de la densité aux compositions de Miller. Ce dernier ne tire en rien la couverture à lui, et ne s’autorise bizarrement qu’assez peu de passages flamboyants, préférant laisser ses complices prendre les devants lors des mouvements improvisés. La section rythmique composée de Kenny Bibace à la guitare, Fraser Hollins à la contrebasse et Thom Gossage à la batterie joue assez « straight », y compris lorsqu’ils peuvent s’exprimer plus librement à la faveur des développements individuels. L’ensemble reste en fait très maîtrisé par le leader, qui semble attacher une grande importance à l’écriture et au respect de celle-ci. L’impression finale est dans l’ensemble assez mitigée, entre séduction évidente des compositions et manque ponctuel de consistance dans le jeu en lui-même.

  • Trio Koch-Schütz-Studer
    Institut Cervantes
    jeudi 23 novembre

La programmation du festival est non seulement variée en terme de provenance géographique des musiciens, mais également sur le plan stylistique. Le trio suisse coomposé de Hans Koch à la clarinette basse et au saxophone soprano, Martin Schütz au violoncelle acoustique et électrique et Fredy Studer à la batterie était là pour témoigner de l’ouverture de l’événement aux formes les plus abstraites du jazz contemporain. À mille lieues des insistances mélodiques d’Emiko Minakuchi ou Joel Miller, ils privilégient la recherche sur les textures sonores, l’agencement de la musique et du bruit ou encore les interactions entre la rigidité des rythmes électroniques et la liberté héritée des formes les plus radicales du free jazz.

Ils définissent eux même leur style comme de la « hardcore chamber music ». Alliage de brutalité rythmique empruntant à la puissance du rock de la part de Fredy Studer et de minimalisme abstrait cherchant du côté de la composition contemporaine pour les deux autres, la musique du trio joue sur les tensions. S’accompagnant le plus souvent de rythmes produits par des ordinateurs, les musiciens semblent constamment chercher le meilleur moyen de faire exploser les cadres qu’ils ont par avance définis. Douceur du souffle de la clarinette basse contre puissance des arpèges au violoncelle électrique, sinuosité mélodique du saxophone soprano joué en souffle continu contre rigidité angulaire de la grosse caisse, délices boisés du violoncelle classique contre vigueur des rythmes électroniques… tout est une histoire d’oxymores musicaux.

Le principe d’une telle musique est d’alterner de manière irrégulière les moments prenants et les passages plus anecdotiques. Le trio n’échappe pas à la règle. La faible présence du public dans la salle de l’Institut Cervantes n’aide pas toujours l’esprit à se concentrer sur la musique, il est vrai. Une certaine langueur dans l’atmosphère n’est pas le plus propice des alliés dans cette expérience d’écoute exigeante. Néanmoins, si l’on apprécie la démarche - et quelques moments forts au soprano ou au violoncelle acoustique - on ne peut s’empêcher de comparer le résultat à quelques grands noms des musiques improvisées qui ont su conduire leurs recherches beaucoup plus loin dans l’intensité transmise au public.