Chronique

Domancich - Goubert

Twofold Head

Sophia Domancich (p, kb), Simon Goubert (dms).

Label / Distribution : PeeWee !

Quand on lui a posé la question de son possible désir d’associer musique et cinéma, Sophia Domancich n’a pas hésité longtemps avant d’imaginer un travail qui tournerait autour des films de David Lynch. Mais selon un procédé bien particulier mis en œuvre avec son partenaire de chaque jour, Simon Goubert. Le cinéma onirique et dérangeant du réalisateur américain est une porte ouverte à l’imaginaire dont le duo s’est emparé, non par substitution de l’univers sonore originel au sien, mais en laissant filer sa créativité à l’occasion d’un ciné-concert (c’était au cinéma Le Méliès de Montreuil en 2016) reposant sur un principe simple : la projection de six courts-métrages de Lynch entre lesquels le duo immisçait sa propre musique. Et c’est bien plus tard, en 2020, que le producteur ingénieur du son Vincent Mahey lui a soumis l’idée d’un enregistrement de ce nouveau répertoire au studio Sextan. Tous les trois ont mis à profit le tournage d’une « pause » en forme de vidéo musicale (à découvrir au bas de cette chronique) pour mener à bien ce projet qui voit enfin le jour sous le titre Twofold Head.

L’attente est récompensée. Si l’on ne s’étonne guère de la complicité qui opère entre la pianiste et le batteur, on est subjugué par la force intérieure et la retenue qui semblent guider chacune de leurs notes. La relation profonde entre Sophia Domancich et Simon Goubert est ici à son zénith, chaque instrument semblant envoyer un signal permanent à l’autre, elle dessine des mondes nocturnes et brumeux, parfaitement illustrés par le visuel du disque. Cet exercice d’équilibre est celui d’une danse légère et instable, dont les beautés sont à chercher du côté de ses suspensions aussi bien que de ses suggestions. Le duo n’est pas de ceux qui affirment – ce qui n’exclut pas la tension / attention – préférant souvent le sfumato au trait plein : ainsi de la frappe de Simon Goubert, lorsque celui-ci s’empare de ses balais et tisse avec une grande délicatesse un voile sonore sur lequel vient se poser le piano solennel de Sophia Domancich (« David & Nino » par exemple). S’il y a chez ces deux-là une évidente volonté de rendre compte du mystère David Lynch par l’élaboration d’une musique ténébreuse aux accents inquiets, on y trouve aussi une forte dose d’amour, une nécessité d’être ensemble, au même instant, dans un processus créatif qui peut emprunter tour à tour des voies dont l’apparente rectitude s’avère hypnotique (« Organum V » [1]) ou des chemins plus escarpés, à la façon d’une longue ascension (« Stairs »).

Comme son titre le signifie, Twofold Head est l’enfant d’une double tête, mais il est surtout un plaisir démultiplié à l’infini, au gré des imaginations. Celles de Sophia Domancich et Simon Goubert bien sûr, mais aussi les nôtres.

par Denis Desassis // Publié le 5 décembre 2021
P.-S. :

[1Le titre « Organum » est un motif récurrent dans la discographie de Simon Goubert.