Chronique

Stefanie Kunckler Ymonos

Le Jour avec les yeux fermés

Stefanie Kunckler (b), Philipp Hillebrand (cl, bcl), Raphael Ochsenbein (acc), Thomas Lüscher (p), Marius Peyer (dms) + Karin Meier (voc, guest)

Label / Distribution : Unit Records

Jeune contrebassiste suisse installée à Zürich, Stefanie Kunckler ne fera pas mentir sur ce que l’on sait de la Confédération Helvétique : en favorisant l’éducation musicale, constitutionnalisée, elle permet de faire émerger des talents sensibles qui s’expriment dans l’écriture. Avec son quintet Ymonos, où l’on découvre le clarinettiste basse Philipp Hillebrand qui contribue beaucoup à l’univers paisible de ce premier disque, Kunckler propose un jeu très délié, dans une douceur contemplative qui fait merveille dans « Ludovico ». Pour ce morceau, elle invite Karin Meier, une chanteuse avec laquelle elle travaille par ailleurs. Sa voix-instrument psalmodie une mélodie lointaine et sans attache, presque désincarnée qui se joue du soufflet de Raphael Ochsenbein avec une finesse éthérée.

Le triangle interne qui réunit l’accordéon, la clarinette et la basse est un moteur à rêve. Le Jour avec les yeux fermés fait dérouler quelques paysages, topographiés avec minutie par les pizzicati d’une contrebasse foncièrement mélodique. On perçoit sans peine que les multiples images sont léchées, entre souvenir et fantasme : « Avec le temps » flâne en dodelinant, sous la pluie fine du clavier de Thomas Lüscher à la main droite légère comme une plume. Le pianiste offre cette pincée de mélancolie qui nourrit les divagations ; Hillebrand polit les timbres de l’accordéon au point de ne faire parfois qu’un avec lui, porté par la batterie très coloriste de Marius Peyer. Les morceaux sont courts, mais paraissent toujours extrêmement détaillés, fourmillent de relief et d’émulation collective.

Ainsi « Le phare en pleine mer » est un regard impressionniste posé sur le port des Sables d’Olonne, cette digue qui s’avance dans l’océan et donne le départ au Vendée Globe. La scène pourrait peut-être avoir lieu ailleurs, sur les bords de la Mer Noire, au Delta du Danube, tant la culture balkanique est chère à Ymonos. Ce qui importe, c’est la dimension aquatique ; ses mouvements cycliques mais impondérables se traduisent d’abord par un bel échange entre la contrebasse et l’accordéon. Le vent sur les vagues. Le dialogue entre les instruments s’enchaîne, sans rupture, comme les couches successives d’une peinture. Si c’est la côte Atlantique, l’image est capturée à la fin de l’hiver, quand le sable est désert et la lumière rasante. Ça tombe bien, c’est le moment où la plage est la plus belle.

par Franpi Barriaux // Publié le 18 février 2018
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