Chronique

Stéphane Kerecki

Focus Dance

Label / Distribution : Zig-Zag Territoires

A quoi tient un album de jazz réussi ? On ne sait pas trop mais il y a là quelque chose qui relève d’une sorte d’alchimie que l’on explique pas toujours mais qui, lorsqu’elle se produit est capable de vous remuer tout entier. Et dans cette alchimie, dans cet alliage magique il est bien souvent question d’ENERGIE. C’est en tous cas la brillante démonstration qu’en apporte ici le contrebassiste Stéphane Kerecki qui, dans ce trio « pianoless » signe l’intégralité des compositions avec à ses côtés Matthieu Donarier au ténor et soprano et Thomas Grimonprez à la batterie. Et ça tourne bien entre ces trois-là ! Ça « fougue », en quelque sorte, pour un album sauvagement vivant.

Puissance intense de l’expression. Le plus souvent up tempo (« La bête noire », « Electron libre »), ils ménagent aussi sur des morceaux plus lents de sublimes moments de pure poésie (« La ville songe », « Day Dream ») où, avec force, ils concilient paradoxalement des moments calmes avec la même puissance de jeu. Donarier,que l’on savait depuis longtemps très grand saxophoniste (depuis qu’on l’avait entendu avec Caratini ou Codjia), confirme ici combien son jeu maîtrise tout un pan de l’histoire du jazz. Dévoilant souvent des accents rollinsiens, il s’est forgé un jeu à la fois classique et personnel avec autant de force brute au ténor qu’au soprano. A tel point que les deux instruments se situent dans une sorte de continuité d’expression. Et surtout, Mathieu Donarier a le son ! Un son terrible que l’on serait bien en peine de prendre en défaut. Un son dont émerge une force brute. Une passion rauque. Quand à Kerecki, il n’y a pas mieux que les liner notes de Franck Bergerot : Kerecki c’est la contrebasse qui danse. Celle qui rebondit et qui danse. Sa danse à lui n’est pas main dans la main avec le batteur mais ici autour du soliste. En osmose avec lui il tourne autour et virevolte. Alors en électron libre, à ses côtés, Thomas Grimonprez frémit, caresse toutes les parties du corps de sa batterie, roule, s’enroule et relance sans cesse.

Au gré des compositions et selon que Donarier prend le ténor ou le soprano, on est plongé dans une couleur différente, toujours liée par cette fameuse énergie et cette puissance de jeu. Kerecki livre toujours sa vision d’un jazz classique sans jamais oublier ce qu’il doit au groove. Et dans ce double jeu on retrouve toujours ses repères. Il est des duplicités dont on est la victime consentante.

Initialement paru dans les Dernières nouvelles du Jazz